L’orgue de l’hiver
Sombre est ton temple : basse est ta voûte,
Ô jour de la Toussaint !
L’hymne de l’été s’y éteint comme le frémissement
De la cloche qui tinte.
Le noir nuage déchire son manteau
Et les pâles haillons du bosquet s’envolent au vent.
La nuit chante la messe de tout ce qui est mort :
toute herbe et toute chair.
Le jour point à nouveau et sa lumière est blanche
Et son tranchant bleui.
Un monde dur et blanc
Surgit au milieu de la mort.
Les soirs de givre se dressent des colonnes :
Ce sont les tuyaux d’argent de l’orgue
Que l’hiver élève
Au milieu des ténèbres et des ruines.
Il est passé, le temps léger des feuilles,
Celui aussi du pré bruissant.
Trop faible est l’arc plein de sève,
Trop tendre la corde tressée de fleurs,
Mais le pin sur les monts, le sapin dans le val
Résonnent encor comme un rude prestant.
Sainte Cécile accorde son instrument
Pour l’Avent du Seigneur.
Maintenant le grand parvis du temple
Est comme un pré de lys.
Tire tous les registres et le grave bourdon
Et la stridente trompette.
Entonne l’hymne pour ton roi, ô vierge des voix !
Il avance dans l’allée couverte de neige
Et doucement flotte dans l’air comme un écho
Venant des salles du ciel.
Éole toujours prêt lourdement piétine
Le bruyant soufflet.
Il tient le réservoir d’air bien rempli,
Dimanche après Dimanche.
Le vent du nord y attend la lune du Nouvel An
Pour souffler dans son cor de plomb.
Mais c’est le vent de l’est qui attend les rois Mages
Pour les accompagner au chant des bergers.
Ô grandes orgues, je suis un homme
De votre communauté.
J’assemble de mon mieux vos voix multiples
En un chant que je veux unique.
Enseignez à présent à mon âme le ton qui vous est propre,
La note pleine et le calme profond,
Afin que mon entrée dans le monde hivernal
Soit un voyage de fête.
Du crépuscule tôt venu, quand les lampes s’allument
Dans le chœur tourné vers l’orient
Et que se tend la voûte de la Voie lactée
Telle une voile flamboyante,
Parfois à l’aube résonne
Comme la calme haleine des étoiles
Une seule note claire comme le verre
Et merveilleuse.
Un hiver froid comme au temps originel.
J’écoute en tremblant
Quand s’ouvre la pédale d’expression de l’orgue
Et que le vent se déchaîne dans les flûtes et les tuyaux,
La trompette retentit comme un arbre creux
Comme des chênes brisés tombant à genoux.
Et les voix dansent en un mélange sauvage
Comme en un tourbillon qui fume.
Un soir brun couleur de violette,
Je veux sortir parmi les bouleaux givrés,
Écouter l’archet caressant le violoncelle
Dont le son s’élargit.
Je veux entendre dans la chorale de carême
Le sifflement croissant du salicional,
Le premier Éole printanier
Dans le vent du matin.
Jusqu’à ce que Marie rosie par le soleil
S’en aille sur la neige brillante et ondulée
Attacher autour de la sombre jupe de la forêt
Une frange de coudrier,
Et dise : « Ma sœur la neige, fonds sur ta branche !
Repose-toi, blanche organiste ! »
Une horde de musiciens multicolores
Monte vers notre pays.
Erik Axel KARLFELDT.
Traduit par C. G. Bjurström et A. Mathieu.
Recueilli dans Anthologie de la poésie suédoise,
choix, traduction, introduction et notes
par Jean-Clarence Lambert, Seuil, 1971.