À la Russie
C’est toi que, pour cette lutte sacrée,
A choisie le Seigneur ; c’est toi qu’il aime,
À toi qu’il donna la force fatale.
Puisses-tu briser l’empire maudit
D’instincts insensés, aveugles, sauvages.
Allons, lève-toi, ma patrie aimée !
Va secourir tes frères ! Dieu t’appelle
Au-delà du Danube furieux...
Là-bas où, sur les rives qu’il épouse,
Mugit le flot de la Mer égéenne.
Mais songes-y... Être le bras de Dieu,
C’est, pour les mortels, une lourde tâche ;
Et lui rudement châtie ses esclaves...
Et puis sur toi, hélas, que de péchés
Effroyables se sont accumulés !
Tes jugements sont de noire injustice,
Le joug de l’esclave a marqué ton front,
Tout est en toi bassesse sacrilège,
Mensonge délétère, infâmes et mortelles
Flâneries et turpitudes diverses !
Ô nation indigne d’être élue,
C’est toi, l’Élue ! Ô livre-toi bien vite
Aux ablutions de la repentance,
Qu’au moins d’un double châtiment la foudre
Ne tonne pas quelque jour sur ta tête !
Que ton âme se prosterne à genoux,
Que ton front se couche dans la poussière,
Pour la prière qui réconcilie ;
Et, les plaies de ta conscience indigne,
Puisse le baume des pleurs les fermer !
Puis lève-toi, prête à ta mission,
Et cours au feu des sanglantes mêlées !
Avec vigueur pour tes frères bats-toi,
Tiens fermement le divin Étendard,
Et tue... ton glaive est le glaive de Dieu.
Aleksei Stepanovitch KHOMIAKOV, 1854.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe,
choix, traduction et commentaires de Jacques David,
Stock, 1947.