Quand le dernier tableau
sera peint sur la terre...
ENVOI AUX « SEVEN SEAS ».
Quand le dernier tableau sera peint sur la Terre,
Les tubes de couleur, aplatis et vidés,
Les plus vieux tons, fanés dans un seul gris austère,
Les plus jeunes critiques, déjà décédés, –
Nous prendrons du repos, – certes, on pourra s’y mettre, –
Oui, nous nous coucherons pour dix siècles ou vingt,
Et le Maître des Bons Ouvriers, – le Grand Maître, –
S’en viendra nous remettre à l’ouvrage, à la fin !
Et ceux qui furent bons vivront aux rives bleues :
Sur une chaise d’or, ils tendront, par monceaux,
Des flaques de couleurs aux toiles de dix lieues, –
Des cheveux de comète formant leurs pinceaux ;
Ils auront de vrais saints qui seront leurs modèles :
Madeleine, ou bien Lue, Pierre, Paul, et Thomas ;
Le temps fuira sur la séance, à tire d’ailes,
Sans que leur bras s’arrête, et qu’ils se sentent las !
Le Maître sera seul à donner la louange,
Le Maître sera seul à blâmer le labeur ;
Nul ne travaillera pour l’argent, que l’on change, –
Nul ne travaillera pour la gloire, qui meurt ;
Mais chacun, isolé, là-haut, dans son étoile,
Rien que pour le travail qui donne son frisson,
Peindra, comme il la voit, chaque Chose sans voile,
Pour le Dieu tout-puissant de ces Choses qui sont !
Rudyard KIPLING, 1892.
Traduit de l’anglais par Jules Castier.