Je ne suis plus seul dans la foule
Je T’ai retrouvé, Dieu, et me voilà rassuré comme un enfant qui, au milieu d’un mauvais rêve, découvre au-dessus de lui le doux sourire de sa mère; je T’ai retrouvé, Dieu, tel un enfant fugueur qui, ayant connu la faim et l’hostilité des hommes, abandonne enfin sa tête sur une poitrine aimée et écoute un cœur qui ne bat que pour lui.
À qui la faute si, ébloui par la fête du monde, je me suis éloigné de Toi? À qui la faute si, jeune étourdi, j’ai été attiré par le tintamarre de sa musique de foire, le clinquant de ses éventaires multicolores, la drôlerie d’un petit singe savant qui fait la joie de la foule?
À qui la faute si j’ai voulu connaître le goût des fraises sauvages? Ah, le plaisir d’aller les cueillir soi-même, leur douceur sur la langue, la certitude qu’un peu plus loin, là-bas, derrière ces arbres, elles seront encore meilleures! Voilà comme on s’égare dans une forêt traîtresse.
À qui la faute si mes yeux naïfs ont préféré suivre les feux mobiles du carnaval, si mes oreilles se sont ouvertes aux bruits excitants de son cortège? À qui la faute si ma bouche et mon cœur n’ont connu que des joies illusoires?
Mais voilà, il a suffi d’une larme de regret et déjà je ne suis plus seul dans la foule.
Mon Dieu est à mes côtés.
Janusz KORCZAK, Seul à seul avec Dieu, Cana, 1982.
Recueilli dans À l’heure de Dieu,
anthologie de prières vécues
rassemblées par Jean-Claude Thomas,
Stock, 1998.