Chemin d’enfance
C’est un petit chemin de sable,
– Au pays laurentien, – montagnard et très vieux,
Gardant des pas ineffaçables
Et l’éternel soleil de la saison des dieux.
Dans la paix du vallon il rôde,
Ivre du miel des prés, de grillons, du benjoin
Fumant de la savane chaude,
S’abolit aux détours, renaît plus loin, plus loin.
Du fond des ravins, serpent d’or,
Il dresse un col que charment les nuages blancs
Soufflés par la chimère, au bord
Du trop grand ciel, au bord du beau ciel jubilant.
Point ne l’effraient ces solitudes ;
Mais il glisse, enlaçant de ses liens onduleux
Les flancs des coteaux qu’il dénude,
Et ceint parfois la claire extase d’un lac bleu.
Chemin, petit chemin de sable,
C’est moi... et tu me rends, éludé le destin,
Avec des sites et des fables,
La gloire inaltérée de mes jeunes matins.
Tout l’azur coule comme une onde
Entre des cimes éblouies ; comme un torrent
Tout l’azur croule au bout du monde
Entre des rives chues sur l’horizon vibrant.
Ô joie sainte et légère, enfance !
L’enfance est sur la route et la joie, dans un rai
De soleil. Que ton rire offense
– Vivre ! – l’horreur sacrée de l’antique forêt !
Sur ton passage, séducteur,
Palpitent les fougères en dentelle, et vois
La marguerite offrir son cœur,
Son tendre petit cœur, entre ses albes doigts.
Plus qu’une précieuse pierre
Ce caillou me ravit ; plus qu’un miroir qui ment,
La brune flaque de l’ornière
Où frémit la feuillée dans le pur firmament.
Une libellule, deux, brusque
Arabesque ; pan noir entre pans de clarté ;
Saveurs de framboise et de musc ;
L’ombre, l’ombre divine, et l’immortalité !
Silence. Des guêpes bourdonnent,
Et la mer végétale exhale un grave ha !
Silence, plus rien ni personne,
Et tel – que l’on assiste à ce que Dieu créa.
Debout ! suis ton chemin de sable...
La lumière lustrale inonde les bouleaux,
Et la fontaine, intarissable,
Roucoule vers l’étang de cuivre et de lis d’eau.
Que d’étonnements, de merveilles !
Tu cèdes, mon chemin, tes trésors de bon gré,
Par fragments, tableaux et corbeilles ;
Et je vais, regrettant des plaisirs effleurés.
L’inconnu d’un tournant me tente,
C’est là-haut, le bonheur, où la nuée fleurit :
La courbe se dénoue, la pente
S’affaisse ; pas encor ! Plus loin, vers ma patrie !
Ce chemin, où me conduit-il ?
(Je feins de l’ignorer) à l’amour ? au repos ?
Nulle part. Marche : c’est l’exil !
Marche comme un berger qui guide son troupeau.
Hélas ! gentil chemin de sable,
Un jour, je t’aurai vu pour la dernière fois.
Des jours, des jours inconnaissables
Se lèveront, et moi je ne serai plus... (moi !)
Peut-être encore, au crépuscule,
Tout à coup passeront des chevaux hennissants ;
Et d’aveugles amants, crédules,
À pas distraits, s’assoiront, ivres de leur sang,
Sur ce roc, battu par les ombres,
Où me venait baiser (ô silence, parfums,
Étoiles !) la fraîche nuit sombre,
Quand je niais la mort et les printemps défunts.
Dès maintenant, adieu, mes choses
Éperdument aimées ! terre, soleil, adieu,
Délicieuse prison close
Aux portes du royaume et faux ciel des vrais cieux
Je n’ai qu’un seul chemin de sable,
(D’autres font voile vers les îles Fortunées) ;
Je n’ai qu’un sort infranchissable,
– Où j’ai su l’univers et toute destinée.
Je n’ai qu’un dur chemin de sable,
(D’autres, las de leurs parcs, endurent d’être nés) ;
Je n’ai que biens impérissables
La joie qu’il faut quérir, sa vie qu’il faut donner.
Bientôt par ce chemin de sable,
Bientôt viendra mon Prince (ah ! je sais qu’il viendra !) ;
Devant mon être méprisable,
Soudain le Bien-Aimé, pensif, devant l’ingrat !
(Ah ! qu’il se hâte, qu’il exauce
L’irrépressible espoir ! car les pas sont comptés
De l’homme en route vers sa fosse.)
Soudain le Maître en la douceur de sa beauté !
Alors, sans crainte, sans surprise,
Comme un vassal aux pieds du plus grand suzerain,
Défaillant de joie reconquise,
Longuement je boirai mes larmes sur sa main.
Puis nous cheminerons ensemble,
Lui m’expliquant d’obscures choses d’une voix
Brûlante, qu’il faut qu’on ressemble
À de petits enfants, pour marcher dans sa voie
Et moi, si ravi par sa grâce,
Que j’oublierai de solitaires agonies,
Les errements d’une âme lasse,
En consolant d’amour son amour infini ;
– Le long de mon chemin de sable,
Plus âpre, plus étroit encor, mais radieux,
Guidant ces pas ineffaçables
Vers l’éternel soleil de la saison de Dieu.
Edmond LABELLE.
Paru dans Gants du ciel en 1946.