En ce dimanche des Rameaux

 

 

C’était une douce vision d’antique Palestine,

Une campagne émue à l’approche divine,

– Quand la blancheur des murs offense l’ombre des cyprès.

Comme un rêve trop beau qui pourtant serait vrai,

Il venait, assis sur l’ânesse,

Roi vêtu de mansuétude, au cortège bénin,

Et le peuple en liesse

Acclamait le jeune Prophète,

En jonchant son chemin

De branches d’olivier et de robes de fête :

« Béni soit Celui qui vient au nom du Très-Haut,

Hosanna, Sauveur d’Israël ! »

Or c’était le premier Dimanche des Rameaux,

Et des palmes bruissantes noblement marchaient dans le soleil.

 

 

Les Apôtres, la face épanouie, le geste exubérant, entourent le Triomphateur. On fête leur Maître, on les fête donc aussi ; faut en profiter : ça n’arrive pas si souvent, ces petits succès-là ! Ils s’interpellent en riant, chantent plus fort que les autres, s’empressent, cueillent quelque admiration auprès d’une connaissance et, tout en encourageant le Chef d’un bon mot, veillent à la circulation.

La foule, qui va grossissant, ovationne, agite des rameaux en faveur du grand Ami du peuple. La joyeuse manifestation ! on s’en souviendra longtemps ! et qui sait si les bonnes années ne reviendront pas ?

Le public n’en peut plus de contentement. Hormis, bien entendu, la clique de vieux Juifs aux doigts crochus et à la barbe sale qui en veulent à mort au pauvre Rabbin ; parce qu’il a crevé leur masque, et chacun la connaît maintenant leur sainte pourriture. S’ils perdaient leur position ! ah ! ce Juste, ils finiront par lui régler son compte ! En attendant, ils se tournent les sangs de ce que tout le monde court après Lui ; et ils regardent bêtement les autres pour qu’ils se taisent. Mais il paraît que les pierres elles-mêmes auraient crié ; et il y en a des cailloux sur les routes de Judée ! Alors, pour le moment...

La clameur rebondit : « Hosanna ! » (bientôt, « À mort ! crucifiez-le ! ») ; Jésus sourit tristement, les yeux tournés vers le Mont des Oliviers d’où coulent des ombres fraîches, et sa main distraite caresse la tête des petits enfants par bandes à ses côtés qui font leurs hommes.

Bref, c’était un beau jour, et des palmes ployantes passaient dans le soleil.

 

 

 

Ce matin, c’est le Dimanche des Rameaux. Et il neige, il neige de la pluie noire. Tout est noir. Les paroissiens vont à la messe, le dos percé par l’aigre bise et les pieds pataugeant dans la boue. C’est ça, nos fêtes, Seigneur ! Je vous assure que ce n’est plus comme dans votre temps. On s’inquiète de son chapeau neuf, et parfois une palme humiliée s’esquive dans la brume.

 

 

 

Quand se lèvera-t-il, le jour de votre gloire,

Seigneur, et le dernier Dimanche des Rameaux ?

Ceux-là qui auront remporté sur la chair la victoire

Escorteront alors, partout où il ira, l’Agneau,

Chantant à fortes voix le cantique ineffable, et blanches

Brilleront leurs robes de lin et les âmes de joie, en ce dernier Dimanche des Rameaux.

Mais qui osera croire à bonheur pareil,

Sans verser soudain de vraies larmes,

– Pour avoir trop souffert ?... cependant que des palmes

En noble procession s’avanceront dans le soleil.

 

 

 

Edmond LABELLE, La quête de l’existence,

suivi de Récitatifs, Fides.

 

 

 

 

 

 

 

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