Le château delphinal de Crémieu

 

ROMANCE HISTORIQUE.

 

 

Voyez se profiler sur cette haute roche

Que le soleil couchant empourpre de ses feux,

Ces vieux murs dentelés où le lierre s’accroche,

Et ce hardi donjon qui fend l’azur des cieux.

C’était là qu’autrefois, du haut de leurs tourelles,

Les sires de la Tour, orgueilleux châtelains,

Bravaient des ennemis les sanglantes querelles

          Et les émeutes des vilains.

Dauphinois qui passez, inclinez tous vos têtes

Devant le vieux manoir des seigneurs redoutés

Qui surent conserver, à travers cent tempêtes,

À notre beau pays ses nobles libertés.

 

C’était là qu’à l’abri de leurs fortes murailles

Les belliqueux barons, en de joyeux ébats,

Venaient se délasser des hasards des batailles,

Dans le sein des plaisirs rêvant d’autres combats ;

C’était là qu’au fourreau rentrant leurs bonnes lames,

Ils venaient, dans les plaids et les défis courtois,

Disputer en l’honneur et sous les yeux des dames

          Le prix des vers et des tournois.

Ô vous tous qui passez, ou guerriers ou poètes,

Fouillez dans ces débris chaque vieux souvenir

De pas d’armes, d’honneur, de guerres ou de fêtes

De ces beaux temps passés pour ne plus revenir.

 

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N’est-ce pas aussi là que pour la guerre sainte

Venaient se rallier les soldats de la croix ?

Ne vit-on pas encor dans cette triple enceinte

Après nos bons Dauphins résider de grands rois ?

Et ce roi si français d’une cour si polie

Qui plus souvent en paix qu’en guerre eut du bonheur,

Ne s’y complut-il pas après qu’en Italie

          Il eut tout perdu fors l’honneur ?

Oh ! songez en passant, hommes de vieille roche,

Qu’ont souvent resplendi là haut les écussons

De tant de chevaliers sans peur et sans reproche

Et, comme vos aïeux, gardez purs vos blasons.

 

Adieu, vieux murs moussus qui croulez pierre à pierre,

Historique donjon, pittoresques remparts,

Où sur les verts réseaux de la ronce et du lierre

Viennent seuls au soleil se jouer les lézards.

On croyait, dans les temps qui vous virent construire,

Mais, hélas ! foi des preux, piété des croisés,

Les révolutions vont-elles tout détruire ?

          Les chevaliers sont-ils passés ?

Ô vous tous qui rêvez, historiens, artistes,

Qui passez en riant en vantant le progrès,

Vous que toute ruine arrête, émeut, rend tristes,

Au château des Dauphins donnez quelques regrets,

 

Mais non ! je te salue, ô modeste chapelle

Où la dévotion guide encor tant de pas,

Et qui toujours debout sur ces débris rappelle,

Qu’il n’est que Dieu de grand et qui ne passe pas !

La tombe d’un vieux preux forme aujourd’hui ta dalle,

Où l’humble vient prier et le penseur s’asseoir,

L’oratoire survit à la tour féodale,

          Le jour de Dieu n’a pas de soir.

 

Sachons être chrétiens et Français de notre âge,

Et sans désespérer sachons nous souvenir.

Sous le regard de Dieu marchons avec courage,

Une larme au passé, mais foi dans l’avenir !

 

 

 

J. LA BONNARDIÈRE.

 

Paru dans La Muse des poètes en 1858.

 

 

 

 

 

 

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