Désespoir et soulagement

 

 

                                        Et mon âme est un cratère éteint

                                        Qui ne brûle plus, mais qui fume !

                                                            ÉVARISTE CARRANCE.

 

Après avoir serré dans mes mains convulsives

L’arme du désespoir, suicide fatal ;

Après avoir souffert les douleurs les plus vives,

Mon Dieu, qui donc a pu m’arracher à ce mal ?...

 

Ah ! c’est vous, oui, c’est vous, c’est votre voix sacrée

Qui répétait sans cesse à mon cœur éperdu :

Ta vie, ô pauvre enfant, quoique bien torturée,

N’est qu’un dépôt qui doit un jour être rendu...

 

Elle est, oh ! je le sais, un douloureux martyre ;

Tu souffres, tu maudis, tu pleures nuit et jour ;

Ton âme est un foyer où brûlent le délire,

La rage et tous les maux qu’enfante ce séjour !...

 

Mais quelqu’un bien plus grand et plus saint que toi-même

A souffert plus que toi, sans l’avoir mérité ;

Et pourtant pas un mot, une plainte, un blasphème ;

Rien n’a fait soulever son sein ensanglanté !...

 

Puis une autre pensée, oh ! comme l’autre sainte,

Me criait elle aussi : Cruel ne vois-tu pas

Que par ce même coup ta vieille mère atteinte,

Au même instant que toi recevra le trépas !...

 

Ingrat ! si rien ne peut t’attacher à la vie,

Si rien ne peut guérir ton incurable mal,

Si pour toujours la joie à ton âme est ravie,

Si pour toi le destin est cruel et fatal,

 

Regarde au moins, et vois cette femme éplorée,

Sans soutien, sans secours, sous le fardeau des ans ;

La vois-tu seule au monde, en un coin retirée,

Lavant avec ses pleurs tes habits tout sanglants !...

 

Oh ! quand ces deux pensers se heurtaient dans mon âme,

Ma mère d’une part et de l’autre la foi,

Une sainte clarté, comme une douce flamme,

Me remplissait soudain de terreur et d’émoi :

 

Devant moi je voyais l’éternité terrible,

Et derrière une femme aux portes du tombeau ;

Et de ma main alors s’échappait l’arme horrible,

Et de mes yeux voilés s’arrachait un bandeau.

 

Depuis lors j’ai vécu, j’ai souffert et je souffre,

Mais à mon triste sort je me suis résigné ;

Pourtant mon cœur parfois est encor comme un gouffre

D’où sort un air fétide et de sang imprégné....

 

Mais ces élans de rage à peine ont la durée

De l’éclair passager, puis le calme revient ;

Alors levant mes yeux vers la voûte azurée,

J’y vois écrit que Dieu des martyrs se souvient.

 

Puis d’un ami lointain la voix consolatrice

Me dit : « Oh ! je comprends tes tourments inouïs,

Mais Dieu qui t’a frappé d’un si cruel supplice

Peut te rendre ces jours si tôt évanouis.

 

L’homme doit être fort sous le poids des souffrances,

Car ici-bas pour lui tout ne doit pas finir ;

Il doit se rappeler que d’autres espérances

Ne le tromperont pas dans un autre avenir. »

 

Voilà tout ce qui fait qu’un baume salutaire

A calmé ma douleur, et de plus m’a donné

La force de dompter ma terrible colère,

Et que... qui me l’eût dit !... j’ai même... pardonné !...

 

 

 

Simon LABORDE, mars 1868.

 

Paru dans Les voix poétiques en 1868.

 

 

 

 

 

 

 

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