Le pauvre
– Qui t’a trahi, Seigneur ?
– Tu le sais, ma fille, c’est toi.
– Cet ami que tu avais choisi
Et que tu as laissé
Seul dans sa nuit
C’est moi
Ce mendiant qui t’avait tout donné
Son cœur dans un sourire
Et le ciel dans ses yeux
C’est moi
Tu l’as laissé tout seul
Contre le vent d’hiver
A soufflé le vent d’hiver
Son cœur fragile
Et ses paupières.
Cet enfant sauvage au regard blessé
À la bouche dure, aux yeux méchants
Qui t’en voulait de manger ton pain
Qui t’en voulait de n’être pas sa mère
Cet enfant sans parole
Qui te criait son désespoir
À coups de cailloux et d’injures
Celui-là que tu n’as pas su
Porter dans une longue peine
Celui-là dont tu n’as pas voulu
Le visage défiguré
C’est moi
Ce pauvre que tu n’as aimé qu’un temps
Était-ce donc pour passer le temps ?
Ce pauvre encore qui tend la main
Et le cœur pour un peu de pain
De miel d’eau de fleurs ou de vin
Si tu donnes le vinaigre encore
Encore l’infâme trahison
Ce pauvre jusqu’à la fin
Ton ultime cri ton dernier appel
Et le dernier silence de ton temps humain
Pour te sauver ce Pauvre
Te tendra la main.
Rose-Andrée de LABURTHE, Liane Aurore, 1987.