Art et beauté
I
Pourquoi donc, ô Beauté, lorsque tes yeux de flamme
Plongent, doux et puissants, jusqu’au fond de mon âme,
Me fais-tu tressaillir ?
Pourquoi mon cœur ardent, bercé par ta caresse,
Peut-il encore, extasié dans cette ivresse,
Te voir sans défaillir ?...
Partout je te rencontre, en l’homme et dans les choses,
Là-haut dans les rayons, sur terre dans les roses,
Et jusqu’au fond des mers !
Et partout et toujours ta voix harmonieuse
Rythme la cantilène immense et merveilleuse
Du chœur de l’univers...
Sans toi, je le sens bien, mon âme inconsolée
Souffrirait trop, hélas, loin du ciel, isolée
En ce sombre milieu...
Mais d’où viens-tu ? Quelle est, dis-moi, ton origine
Serais-tu la splendeur ineffable et divine
De la Face de Dieu ?...
II
– De l’art je suis la fille obéissante et belle...
Mais vouée au Seigneur, mon seul Maître et mon Roi !
Sœur du bien et du vrai, jamais, au mal rebelle,
Je ne me prostitue en violant sa loi...
L’Art, en caressant l’air qu’ici-bas tu respires,
Harmonise les chants épars qui sont en lui,
Et quand l’artiste les module sur sa lyre,
Je suis l’inspiratrice aimante qu’il poursuit.
Si des souples rameaux effleurés par la brise,
S’envole, ainsi que d’une harpe, un son joyeux,
Aussitôt j’apparais, et l’humble vocalise
À ma voix se transforme en un hymne pieux...
L’Art, captant les rayons diffus de la lumière,
Dit au peintre : Travaille ! Un tableau resplendit,
Évocateur de paix ou de gloire guerrière...
Je guidai le pinceau que sa main lui tendit.
Et lorsque, sous ses doigts, le marbre vit, s’anime,
Et que les panthéons, sous les cieux constellés,
Dressent, hardis et fiers, leur coupole sublime,
Je règle leurs contours finement ciselés.
Que l’Art élève enfin, jusqu’à lui, la Parole,
Cette musique exquise et faite de clarté,
Je me libère alors des voiles du symbole,
Et je m’identifie avec la Vérité,
Je rythme la pensée, et par la Poésie,
J’infuse au verbe humain ma grâce et mon ardeur ;
Je suis le cœur qui bat, l’âme qui s’extasie
Dans le poète, cet amant de ma splendeur...
Lève les yeux, regarde, interroge l’espace :
Vois ces mondes de feu projetant leurs rayons
Sur les routes sans fin dont nul ne sait la trace...
Je chante dans la Lyre et luis dans Orion !
Suis-moi, monte plus-haut, par delà l’empyrée,
Aux bornes du fini, dans l’ombre, au ciel des cieux,
Parmi les séraphins aux ailes diaprées !...
Contemple-moi ! je suis partout où règne Dieu !
Voilà mes fonctions, voilà mon origine !
Mais sache qu’un cœur pur est mon trône de choix :
J’ai pour lui des secrets, et des clartés divines
Hautes jusqu’à l’extase en face de la Croix...
Ô Beauté ! si mon cœur ne rêve qu’harmonie,
Si je te vois partout, c’est que tu vis en moi !
Et je puis accueillir ta caresse bénie,
Car je veux, en chantant, servir Dieu comme toi !
Arthur LACASSE.
Quinze ans de poésie française à travers le monde,
Anthologie internationale,
textes rassemblés par J. L. L. d’Arthey,
France Universelle, 1927.