La statue

 

 

La nuit, lente et sereine, a déployé ses ailes ;

Dans la forêt, tout est obscur et recueilli.

Pourtant, une blancheur, là-bas, dans un taillis,

Persiste encore, immobile et surnaturelle.

 

Qu’est-ce ? un fantôme, errant invisible le jour,

Que l’obscurité fixe et qui prend corps dans l’ombre ?

Le spectre inconsolé d’un de ces dieux sans nombre

Que le Christ a chassés des sylvestres séjours ?

 

Ou plutôt, n’est-ce pas un restant de lumière

Que le jour a laissée en fuyant dans la nuit ?

Ainsi, quand un lis meurt, son parfum lui survit,

Comme aux lèvres d’un saint une ultime prière.

 

Ô toi qui peux sourire aux vieux rêves passés

Qui peuplaient la Forêt, hélas ! aujourd’hui vide,

Pourquoi regardes-tu cette clarté livide

Le front suant d’angoisse et les membres glacés ?

 

Approche, touche et vois : c’est un guerrier de pierre

Qui s’érige en statue, immobile et muet.

Serais-tu moins ému, dis-moi, s’il remuait,

Et si des yeux vivants brillaient sous sa paupière ?

 

La lune, en se levant, fait luire sa beauté

Et creuse de grands plis à son manteau de marbre,

Et l’ombre qui descend du feuillage des arbres,

Mouvante, accuse encor son immobilité.

 

On dirait que cet homme avait, dans sa poitrine,

Un cœur comme le tien, battant aux flots du sang ;

Qu’une âme tressaillait sous ce crâne puissant,

Et qu’un souffle vivant lui gonflait la narine ;

 

Puis, que son cœur, un jour, tout à coup s’est glacé,

Que son souffle brûlant s’est figé sur sa bouche,

Et qu’un destin mortel, en un geste farouche,

Sur ce socle de pierre à jamais l’a fixé.

 

Et tu trembles, chétif, de tout ton cœur débile,

Devant ce spectre pâle, impassible et sans voix,

Parce qu’il te rappelle, et que soudain, tu vois

Qu’à ton tour, dans la mort, tu seras immobile.

 

 

Pierre LAFENESTRE.

 

Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.

 

 

 

 

 

 

 

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