La Sœur de Charité
I.
Aujourd’hui que ma main, longtemps faible et glacée,
Aujourd’hui que mon cœur et ma triste pensée
D’un peu de vie encor ressentent le doux bien,
Je veux écrire un hymne, un hymne à ta louange,
Toi qui m’offris l’image, ici-bas, de cet ange
Doux et mystérieux, – de mon ange gardien !
Sœur ! Charité ! Jamais, jamais mots plus sublimes
Ne sont tombés du haut des radieuses cimes
Où la divine loi fut tracée aux humains ;
Et ces deux mots pourtant forment ton nom de femme,
Et ce sont les foyers où s’allume la flamme
Qui te guide et l’inspire en nos sombres chemins !
L’aspect d’un ciel d’azur, d’une verte campagne,
Du soleil se levant derrière une montagne,
Force souvent l’impie à crier : Hosanna !
Devant ton dévoûment, ô touchante héroïne,
Ah ! qui donc n’entrevoit que la bonté divine
À faire croire en Elle aussi te destina.
Tout homme dont la voix à son aide t’appelle,
Quand la douleur l’étreint dans sa serre cruelle,
Te voit à son chevet aussitôt accourir.
Que son corps soit couvert d’une hideuse plaie,
Que sa couche pour lui soit une ardente claie,
Assise à ses côtés, tu soutiens le martyr.
Celui qui, sans ami, sans foyer de famille,
N’a, dans son firmament, plus d’étoile qui brille,
Et de ses tristes jours voit mourir le flambeau,
Quand il recourt à toi, de tendres soins avide,
Ne croit-il pas revoir, dans sa demeure vide,
Et sa mère et sa sœur qui dorment au tombeau ?
Lorsque, dans nos cités, exerçant ses ravages,
Le sombre choléra glaçait tous les courages,
– De la destruction grand et suprême effort ! –
Au-devant du fléau tu marchais radieuse ;
Chaque instant te voyait, victime bienheureuse,
Pour sauver une vie aller droit à la mort.
Dans cet asile ouvert à l’humaine misère,
Où demande à mourir le morne prolétaire
Quand son bras est rompu par l’âge et le malheur,
Ta présence répand la lumière et la joie ;
Par toi, l’âme naguère au désespoir en proie
Exhale un chant d’amour et l’envoie au Seigneur.
Que de nobles esprits, que d’enfants de la lyre,
Méconnus, repoussés par leur siècle en délire,
Hélas ! n’ont eu que toi pour leur fermer les yeux.
Dans la société trouvant une marâtre,
Hégésippe Moreau, Gilbert et Malfilâtre
T’ont dit leurs derniers vers et leurs derniers adieux.
Symbole de vertu, le vice ni le crime
Ne peuvent ici-bas creuser aucun abîme
Capable d’arrêter l’élan de ton amour.
Même envers le forçat te montrant secourable,
Du bagne tu franchis l’enceinte redoutable,
Et tu fais d’un enfer ton terrestre séjour.
Imitant du Très-Haut la clémence infinie,
Entre le vrai croyant et l’insensé qui nie,
De tes sacrés bienfaits tu partages le don :
En face du chrétien, tu parles d’espérance ;
‘Pour le pécheur mourant dans son impénitence,
Ta voix demande au Ciel indulgence et pardon.
Tu comprends qu’à cette heure auguste et solennelle
Où l’homme touche au seuil de la vie éternelle,
Dans l’incrédulité demeurât-il plongé,
Sa vie en forfaits même eût-elle été féconde,
C’est par le Dieu clément mort pour sauver le monde,
Et non par nous, mortels, qu’il doit être jugé.
II.
Comme, au milieu des mers profondes,
Le regard parfois, sur les ondes,
Voit flotter un tertre isolé,
Que conduit une main puissante
Pour rappeler la terre absente
Au nocher pâle et désolé ;
Ainsi, dans les temps où nous sommes,
Ta présence rappelle aux hommes
Un don – de leur âme exilé !
La charité n’a de vrai temple
Que dans les lieux où ton exemple
En elle soutient notre foi.
Quand l’égoïsme, affreux fantôme,
Dans les palais et sous le chaume
Jette ce cri : chacun pour soi !
De la fraternité sacrée
Recherchant l’image adorée,
Mon cœur l’a retrouvée en toi.
Laisse ces femmes insensées
Par les plaisirs bruyants bercées
Sur ton destin s’apitoyer :
Dans les bals joyeux et splendides,
L’harmonie aux vagues rapides
Jamais ne te fait tournoyer ;
Tu n’as pas de riche parure,
On ne voit, dans ta chevelure,
L’or ni les rubis ondoyer....
Non, tu vis pauvre et solitaire ;
À côté des biens de la terre
Tu passes sans lever les yeux :
Tu trouves dans l’aride voie
Où l’ordre du Seigneur t’envoie,
Des biens plus purs, plus précieux ;
Chaque grain de blé que tu sèmes
Sur ce sol pavé de blasphèmes
Devient épi d’or dans les cieux.
III.
Alors que, loin, bien loin de ma belle patrie,
Un mal cuisant sur moi déchaînait sa furie,
Que tous me délaissaient, pleins de trouble et d’effroi,
Qu’en vain je frappais l’air de ma voix éperdue,
Tu m’entendis, colombe à mon Arche rendue,
Symbole d’union entre le Ciel et moi....
Fils d’un siècle où le doute, – affreux serpent, – se traîne
Dans les cœurs, qu’il corrompt de sa fétide haleine,
J’ai marché tristement, sans guide et sans appui :
Que d’écueils j’ai heurtés dans ma nuit ténébreuse !...
Aujourd’hui, de la Foi l’étoile radieuse
A percé le nuage et dans mon âme a lui.
Car, lorsque l’on le suit des yeux, ô sainte fille,
Et qu’on te voit laisser monde, plaisirs, famille,
Pour te livrer sans trêve à ton apostolat,
Pour veiller nuit et jour au chevet d’agonie
Du pauvre, dont tes soins, ta voix douce et bénie
Couvrent parfois de fleurs le funèbre grabat,
Quel homme n’aimerait, de l’ardeur de son âme,
Cette religion, qui fait naître en la femme
Un dévoûment si pur, chaque jour répété ?...
Ah ! si du doute encor j’entends la voix funeste,
Pour croire à ta bonté, Providence céleste,
Mon âme évoquera la Sœur de Charité !
1844.
Marcellin LA GARDE Lilia.
Recueilli dans Morceaux choisis des poètes belges,
B. Van Hollebeke, Namur, 1874.