Délire

 

 

            Encor, ô mon Dieu, ta lumière !

            Encor, ô mon Dieu, ta clarté !

            Encor, Seigneur, à ma paupière,

            Encor l’éclat de ta beauté !

 

Oh ! qui me donnera les transports du zéphire,

Les accords du rameau, l’écho moelleux des bois,

Pourquoi ? – Pour qu’à son Dieu mon âme enfin expire,

Expire, ou pour chanter ait toujours une voix !

 

Oh ! qui me donnera l’allégresse sonore

De l’oiseau dont l’ivresse emplit nos bois d’amour.

Pourquoi ? – Pour qu’à son Dieu mon âme chante encore,

Et redise son hymne à l’extase du jour !

 

Ta lumière en mes yeux, ô Dieu, verse sa joie !

Un jour mélodieux s’épanouit à moi !

Mon âme, à ce spectacle, où le bonheur la noie,

Comme un cygne étendant ses ailes, se déploie,

Sur les ailes du jour voudrait monter à toi !

 

            Encor, ô mon Dieu, ta lumière !

            Encor, ô mon Dieu, ta clarté !

            Encor, Seigneur, à ma paupière,

            Encor l’éclat de ta beauté !

 

Murmure des rameaux où l’harmonie expire,

Lumière qui remplis le blanc ciel de délire,

Ruisseaux, feuilles, concerts, légers gazouillements,

Nature en ce moment universel sourire,

            Prêtez-moi votre délire,

            Prêtez-moi vos ravissements !

 

Qu’elle est belle, Seigneur, dans les airs la lumière !

Ma paupière ne peut à son gré s’en remplir !

Quand de ton pur éclat tu la viens réjouir,

Mon âme aussi, mon Dieu, s’éclaire !

 

            Encor, ô mon Dieu, ta lumière !

            Encor, ô mon Dieu, ta clarté !

            Encor, Seigneur, à ma paupière,

            Encor l’éclat de ta beauté !

 

Nuages qui couvrez les célestes campagnes,

Ombres qui parcourez les sublimes montagnes,

Oiseaux qui poursuivez au loin votre aliment,

Toi qui sèmes les airs des clartés de l’étoile,

Toi qui t’étends partout sur eux comme un blanc voile

Qui cache le front bleu du serein firmament !

Lumière, un jour mes yeux verront-ils son délire,

Comme l’un de ses feux me verrai-je enfin luire

            Un jour son ornement !

 

Oh ! qu’il vienne ce jour appelé de mes ailes,

Qu’il ne me laisse pas plus longtemps à languir !

Qu’il vienne enfin m’ouvrir les portes éternelles,

Qu’il vienne enfin me les ouvrir !

 

            Encor, ô mon Dieu, ta lumière !, etc.

 

 

 

Victor LAGRANGE,

Cinq nouvelles harmonies poétiques et religieuses,

dédiées à M. de Lamartine, 1833.

 

 

 

 

 

 

 

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