Désir
Ah ! si tu pouvais, ô mon âme !
À ton gré prendre ton essor !
Si tu pouvais sur une aile de flamme
Voler, voler, voler encor !
Mystérieux désir des ailes !
Mon âme a l’essor doux des voiles des nacelles,
Le calme de la nuit, le zèle des vents frêles,
Des ailes au vol blanc prêtes à s’exhaler !
Les pas de l’aquilon, des astres sur ma tête,
Les élans de l’éclair, le vol de la tempête,
Et pourtant à mon Dieu je ne puis m’envoler !
Je ne puis m’envoler, Seigneur, où tu résides,
Tes astres sont là-haut pour moi d’impuissants guides
Qui me montrent le but sans me mener à lui ;
Je vois de ta clarté la splendeur et la joie,
Et tandis qu’en ses feux ta lumière me noie,
Je ne puis parvenir où ton regard a lui !
Mon âme a les accents de la voix qui soupire,
De la feuille qui plaint, du zéphir qui respire
Quand avec elle à l’ombre il peut se désoler ;
Les cris de l’incendie et le bruit de la terre,
La parole des vents et la voix du tonnerre,
Et pourtant h son Dieu mon cœur ne peut parler !
Je ne puis te parler comme je le désire,
Seigneur ; en vain ma voix prend l’accent du zéphire
De l’aise de la nuit, des formes du ramier ;
Le désir à son gré n’a jamais de parole,
Il recherche toujours quelque dernier symbole
Plus fidèle que le dernier !
Ah ! prends enfin pitié de l’embarras extrême,
Seigneur, où cet éclat de ta beauté suprême
Trop haut pour les mortels jette leur faible voix ;
Enseigne-nous un nom pour te dire toi-même,
Un mot fidèle et pur, un mot unique, emblème
Qui dise d’un seul son tout ce que j’entrevois !
Vous, du moins, qui restez toujours sans le comprendre,
Qui ne le voyez pas dans les eaux, dans l’azur,
Qui parmi tant de voix ne pouvez pas l’entendre,
Levez un instant l’œil à ce miroir si pur !
Quand l’aquilon fuyant les cimes arrêtées
Ira mourir au loin de moment en moment,
Et qu’au bruit avançant des feuilles agitées
Reviendra par degré sévir son sifflement !
Quand les souffles des airs, dispersant la rosée,
Berceront les parfums, le frais, vos purs désirs ;
Que de leur son plaintif votre oreille rasée
Fidèle écho rendra dans vous leurs longs soupirs !
Quand vos blés entendront l’alouette sonore
S’égosiller d’amour dans les plaines des airs,
Et lorsque tout se tait, seule chanter encore
Dans des cieux de silence et des champs de déserts !
Quand vous verrez de pleurs la prairie émaillée
Saupoudrer de saphirs ses tapis coupés d’eaux ;
Au baiser des zéphirs frissonner la feuillée,
Des ailes palpiter les bourdonnants réseaux !
Quand les arbres, les fleurs, les prés et la verdure,
L’atmosphère tout d’or, de lumière et d’amour,
Égarant vos esprits dans un calme murmure,
Vous environneront d’un splendide alentour !
Ah ! sentez, sentez donc ! l’heure mélodieuse
Qui fait s’élever l’hymne au fond de notre cœur,
Qui fait trouver l’auteur de l’œuvre harmonieuse,
Sonne pour qui l’entend le moment du bonheur !
Allez à ce lac pur que les brises parcourent,
Dont elles font frémir le mobile miroir,
À l’heure, où vers l’aurore en hâte elles accourent
Ou viennent tristement mourir où meurt le soir !
Voyez des belles nuits les plaines étoilées,
Berçant au fond des eaux leur front limpide et pur,
Glisser sur le miroir des lames ondulées,
Ou se mirer en paix dans les plaines d’azur !
Voyez aux blancs matins, aurores immortelles,
Quand à l’aube au jour pur, à la fraîche clarté,
Le cygne sur les eaux étend ses blanches ailes,
Fraîchir l’éclat mouvant du plumage argenté !
Voyez, ainsi qu’à l’air se module une gaze,
Pour donner de la vie à ce miroir si pur,
La claire et belle eau sous la brise qui la rase,
Refouler sur ses pas sa surface d’azur !
Sentez à chaque fois que votre sein respire,
Que le frais, les parfums se pressent à la fois,
Votre âme avec plaisir humer leur pur délire,
Et l’air se rafraîchir d’ombre et d’eau dans les bois !
Écoutez près des bords le roseau qui soupire,
Et pressé du zéphir se courbe sous son poids ;
Écoutez en quels lieux une autre haleine expire
Et va languir d’amour ailleurs avec sa voix !
Écoutez dans les eaux, écoutez au zéphire,
Écoutez à la feuille, à son pieux émoi,
À tout ce qui murmure, à tout ce qui délire,
À tout ce qui gémit, à tout ce qui désire,
Et celui que tout cherche, ils sauront vous le dire
Mieux que l’homme et l’orgueil, mieux que la lyre et moi !
Victor LAGRANGE,
Cinq nouvelles harmonies poétiques et religieuses,
dédiées à M. de Lamartine, 1833.