Charme du soir dans mon pays

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le jour s’éteint. Le soleil descend sur les monts déserts. Les insectes, cessant de bourdonner, rentrent sous l’herbe et dans l’épaisseur des buissons. La forêt, incendiée par les derniers feux du jour, est comme un temple illuminé pour une cérémonie splendide. Les longues clôtures, qui séparent les terres, semblent être des foules étranges, habillées de pourpre...

Ici, entre des peupliers aux feuilles doublées d’argent, des hêtres au feuillage rosé, et des sapins aux tiges sombres, ici coule un petit ruisseau qui chante adorablement. Ses bords sont couverts de fougères sauvages, de mouron, de boutons d’or, mêlés au foin vert en fleurs. On y voit des grottes minuscules, des cavernes profondes où vit le peuple remuant des hannetons et des fourmis. Les hirondelles y font aussi leur nid. Le bout de leurs ailes ride parfois d’une ombre grise le miroir de l’eau. Des gouttelettes retombent dans l’air, comme des perles, et l’oiseau disparaît au sein du feuillage tranquille.

Le petit ruisseau coule dans le silence, qui est grand comme l’horizon. Les montagnes se recouvrent d’un manteau violet. Le vent, doux et léger, m’apporte les notes d’un angélus lointain et ma pensée se disperse sur la plaine avec la fumée d’une maisonnette que je vois dans les champs voisins. Ô pauvre et séduisante maisonnette des champs ! Je n’ai rien vu de plus beau que toi, humble maison, ornée ce soir des gloires du couchant ! Sur le pas de la porte, le colon s’attarde pour respirer l’air des montagnes et voir un peu quel temps il va faire demain. Au firmament, des nuages qui ressemblent à des voiles, passent avec d’autres nuages qui ressemblent à des îles. Des fleuves d’azur, des abîmes de lumière s’éternisent encore au sein des brumes du soir. Des mains qu’on ne voit pas referment doucement les volets, car la brise va devenir fraîche. Des enfants jouent dans l’herbe avec leur chien. Un habitant revient des champs suivi de ses bœufs. Les sonnailles des vaches tintent dans les plis du vallon. Une pénétrante odeur de foins coupés monte dans l’air avec cette étrange et forte senteur que dégagent les plantes vénéneuses des savanes.

C’est la paix, une paix sans bornes, une paix sans mélange que nulle agitation ne vient troubler. Ici, les heures coulent sans bruit, sans entrave, toujours pareilles à elles-mêmes, comme le murmure de l’eau vive sous les feuilles, comme le chant de l’oiseau dans les branches... Ailleurs aussi, en d’autres coins du monde, la brise est douce, le soir est beau. Le couchant dore aussi d’autres maisonnettes, humbles et joyeuses. D’autres êtres vivent ailleurs, attachés à leur terre, enracinés au sol comme les vieux arbres qui les ont vus naître. Et leur cœur, comme le mien, ce soir, se fond dans l’amour du pays natal.

Homme de mon pays, regarde un peu ce ruisseau qui coule, ce foin qui embaume, cette maison qui fume, ce soir qui tombe... Écoute ces cris d’oiseaux dans les bois profonds, écoute le vent rugir dans la cime des pins, et l’orignal clamer son sauvage amour. Écoute l’eau des rivières gazouiller sur les penchants des montagnes et les bouleaux bruire sur le bord des grands lacs... Ouvre ton âme aux souffles du sol natal, et jamais tu ne voudras chercher ailleurs tes chansons et tes amours !...

Paysages de mon pays, hautes montagnes bleutées, blondes collines, aux versants dorés, petite maison de bois panachée d’une fumée grise, plaines fertiles où vont les chevaux et les bœufs ; forêts au noir feuillage, aux inaccessibles profondeurs ; visions de calme et de beauté, paysages de mon pays, entrez dans mon âme, entrez dans mon rêve, et pour toujours !

 

 

 

 

Blanche LAMONTAGNE,

Au fond des bois, 1931.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net