Pendant la guerre
LES BLÉS
Ce matin, plus lourds, dans la brise,
Les blés se sont mis à pleurer ;
Au fond de leur prunelle grise
J’ai vu des larmes s’égarer.
Courbés sous le poids de leur peine,
Ils ont penché leurs fronts trop lourds,
Et leurs pleurs brillaient dans la plaine,
Comme un bijou sur du velours...
– « Nous pleurons en un deuil suprême.
« La douleur, aux sombres courrous,
« Nous a touchés de sa main blême,
« Et verse sa
détresse en nous.
« Étendant nos bras en prières,
« Vers la face du Tout-Puissant,
« Nous sentons croître en nos paupières
« Des larmes, des larmes de sang !...
« Ah ! bien grande est notre souffrance,
« Me dirent les blés canadiens :
« Nous pleurons pour les blés de France,
« Qu’écrasent les canons prussiens ! »
LES FLOTS
Depuis que la guerre s’élève.
Et met dans nos cœurs des sanglots.
J’entends soupirer sur la grève
Les flots.
Quels terribles bruits leur apporte
La brise en son manteau vivant ?
Quelles sombres rumeurs leur porte
Le vent ?
Est-ce la voix de ceux qui tombent,
Dans l’égorgement des combats,
Et le cri de ceux qui succombent,
Là-bas ?
Sont-ce nos frères, qui reviennent,
Les petits Français, aux yeux doux,
Qui sont morts, et qui se souviennent
De nous ?
Sont-ce les soldats de vaillance,
Couchés par un bras sans merci,
Attendant le réveil de France,
Ici ?
Nul ne répond. Le fleuve pleure
En lourds sanglots, durant la nuit ;
Et l’oiseau quittant sa demeure
S’enfuit...
Dans le ciel, où le soleil plombe,
Une rougeur monte et descend.
On croirait que, sur nous, il tombe
Du sang...
– Ô France ! ô ma mère ! sois forte !
De tes ennemis sois vainqueur !
Je t’aime, et, de loin, je t’apporte
Mon cœur !
Blanche LAMONTAGNE.
Paru dans Le Parler français, bulletin de la Société
du Parler français au Canada, en octobre 1914.