CONSEILS

 

 

                                                    À mon fils.

 

 

ENFANT, quand tu seras un homme, quand la vie

Ouvrira sous tes pas des verts sentiers en fleurs,

Quand la vocation, qui toujours nous convie,

Te tendra sa bannière aux austères couleurs ;

 

N’hésite pas : suis-la, sans arrière-pensée,

Dans la voie inconnue où te guide sa main,

Achève sans regrets la route commencée,

Quel que soit le salaire au terme du chemin.

 

Marche, que l’horizon soit riant ou sévère,

Que le labeur soit rude à ton bras, ou léger ;

Marche, quand ton sentier finirait en calvaire,

Marche, quand le devoir s’appellerait danger !

 

La gloire, et le bonheur – préférable à la gloire –

Seront toujours au fort qui droit devant son but

Va sans se retourner, sans s’arrêter à boire

À la source incertaine où son compagnon but...

 

Mais quel que soit ton rêve et quel que soit ton œuvre,

Que tu courbes le front sur un humble sillon,

Ou bien que l’Art t’exalte et qu’en un fier chef-d’œuvre

Tu prouves la grandeur de ton ambition :

 

Respecte l’Idéal ! Que sans cesse, en ta route,

Ta jeune âme s’éclaire à ce reflet de Dieu ;

Crois au Beau, crois au Bien, ne laisse point le doute

Sourire sur ta lèvre à ces verbes de feu !

 

Que ton cœur, ce palais où naîtra ton beau songe,

Reste toujours, mon fils, un palais de cristal ;

Qu’il soit plein de soleil, que le regard y plonge

Sans y rien voir stagner de vil ou de banal.

 

Surtout, oh ! laisse à toi venir la Poésie...

Aux heures de jeunesse, et d’amour et d’orgueil

Accueille sans dédain sa coupe d’ambroisie,

Ne la repousse pas dans tes longs soirs de deuil.

 

La tristesse, sans elle, et la désespérance

Attaquent les meilleurs et brisent les plus forts...

Dans son bonheur, hélas ! comme dans sa souffrance,

L’homme est faible ; souvent, trahi par ses efforts,

 

Même dans ses moments de colère ou de fièvre,

Quand tout parle à son cœur entraîné vers le Beau.

Il lui faut un nectar pour y tremper sa lèvre,

Il lui faut un zéphyr pour enfler son drapeau.

 

Vois l’ardent muletier qui harcèle sa mule,

Vois le bouvier piquant son bœuf dans le sillon :

Ainsi l’homme a besoin d’un bras qui le stimule,

Sa vertu paresseuse exige l’aiguillon.

 

La Poésie, enfant, c’est le nectar qui grise,

C’est l’aiguillon divin qui relève nos pas,

C’est le souffle d’en haut qui passe, c’est la brise

Qui gonfle l’étendard au milieu des combats ?

 

Loin d’écarter de toi le poète qui passe,

Sur ses strophes d’azur laisse-le t’emporter,

Ne dis point au chanteur que sa chanson te lasse :

Si tu ne chantes pas, écoute-le chanter !

 

Songe que le héros et celui qui l’inspire

Accomplissent tous deux semblable mission,

Que le glaive pour sœur a toujours eu la lyre

Et qu’un beau vers vaut presque une belle action !

 

 

 

                                                            Émile LANGLOIS.

 

                                                               Yvetot, juin 1898.

 

                                            Paru dans La Sylphide en 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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