Spes
Et lux in tenebris lucet.
UNE MÈRE
VIERGE que fais-tu là, sur ce calvaire assise ?
Le jour laisse des cieux tomber son manteau d’or,
Dans un dernier rayon le dernier bruit s’endort...
Nul ne passera plus à cette heure indécise.
LA VIERGE
Nul ne passera plus, j’espère encor, pourtant :
Celui qui tient ma vie à sa vie enchaînée
Doit revenir ce soir, après plus d’une année,
Me rendre le baiser qu’il m’a pris en partant.
LA MÈRE
Lève-toi, jeune fille, et rejoins ta chaumine,
Ferme ton cœur ouvert aux rêves d’avenir ;
L’amour aux nids d’antan ne sait plus revenir
Et sur d’autres chemins ton cavalier chemine.
Jadis, ainsi que toi, j’ai dû venir m’asseoir
Sur le sentier fleuri des amours éphémères ;
Mais j’arrive à cette heure avec l’espoir des mères
Et mon fils est le seul que j’attende ce soir.
UN PRÊTRE
Femme, que fais-tu là, dans cette nuit glacée ?
L’ombre qui se remplit de furtives rougeurs
Annonce le retour des derniers voyageurs...
Nul ne passera plus à cette heure avancée.
LA MÈRE
Nul ne passera plus, pourtant je reste encor :
Je veux revoir l’enfant que m’avaient pris les armes,
Lui dont l’adieu suprême, entrecoupé de larmes,
A fait vibrer mon cœur d’un douloureux accord.
LE PRÊTRE
Reprends ta route, ô mère, et rejoins ta chaumine,
Ferme ton cœur ouvert aux rêves d’avenir ;
L’enfance aux nids d’antan ne sait plus revenir
Et vers d’autres baisers ton pauvre fils chemine.
Les sourires d’une heure et les serments d’un jour
Comme lui m’ont naguère égaré sur les routes ;
Mais j’ai dressé ma tente à l’abri de ces voûtes
Et c’est Dieu que je cherche en mon nouveau séjour.
*
* *
UN PHILOSOPHE
Prêtre, que fais-tu là, sous cette arche plaintive ?
La nuit a mesuré la moitié de son cours ;
À quelque pèlerin veux-tu porter secours ?
Nul ne passera plus à cette heure tardive.
LE PRÊTRE
Nul ne passera plus ; je veille néanmoins ;
En ces moments troublés où toute âme chancelle
Je fais luire au hasard la divine étincelle
Au repentir qui cherche à pleurer, sans témoins.
LE PHILOSOPHE
Éteins ta lampe, ô prêtre, et rejoins ta chaumine,
Ferme ton cœur ouvert aux rêves d’avenir ;
L’âme à ses nids d’antan ne sait plus revenir
Et vers le doute obscur le monde entier chemine.
Ta foi, nul n’en veut plus souffrir le joug qui mord,
Chacun laisse à tout vent s’effeuiller sa croyance
Et le dernier éclair de l’humaine science
Ouvre à l’œil enrayé le gouffre de la Mort !
*
* *
UNE VOIX D’EN HAUT
Qui donc blasphème ainsi dans l’effroi des ténèbres ?...
L’aube du soin des nuits ne peut-elle surgir ?
Oui, nous verrons bientôt les âmes réagir
Contre l’obsession de vos clameurs funèbres !
Ô doux émois de l’âme, ô tendresses du cœur,
Pudique essaim d’amours trop longtemps délaissées,
Vous dont les ailes d’or furent, un jour, blessées,
Allez peupler l’azur en votre essor vainqueur !
Vierges, mères, pasteurs, quittez votre chaumine,
Rouvrez vos cœurs fermés aux rêves d’avenir ;
La joie aux nids d’antan va bientôt revenir
Et vers un grand espoir l’humanité chemine !
Émile LANGLOIS.
Paru dans La Sylphide en 1897.