Oraison pour avoir santé

 

 

Dieu, vrai Dieu, Dieu, Seigneur de nous, pauvres humains,

Dieu qui nous baillas l’être, et nous fis de tes mains,

Dieu, Dieu qui es seul Dieu, Dieu de qui la facture

C’est la terre et le ciel, c’est toute créature,

C’est tout, tout ce qui est, et tout ce qui sera,

Lorsqu’il faudra qu’il soit, lors ta main le fera.

Dieu, qui de tous nos faits comme il te plaît disposes,

Dieu, qui d’un seul clin d’œil peut faire toutes choses,

Dieu, sans qui ni le ciel, ni l’homme terrien

N’ici-bas, ni là-haut, n’ont puissance de rien,

Dieu que seul Dieu je tiens, Dieu en qui seul j’espère,

Dieu que je reconnais pour mon seigneur et père,

Dieu mon roi, Dieu mon tout, Dieu en qui j’ai ma foi,

Dieu en qui je m’attends, Dieu en qui seul je croi,

Las ! mon Dieu, si tu vois qu’en toi seul je me fie,

Guéris-moi, ô Seigneur, de cette maladie.

S’il est ainsi, mon Dieu, que je n’aie attenté

Autre moyen que toi pour r’avoir ma santé,

Si je n’ai point forgé dedans ma fantaisie

Mille dieux abuseurs que feint la poésie,

Si d’autres que de toi je n’ai cherché secours,

Si seulement à toi j’ai toujours eu recours,

Guéris-moi, ô Seigneur, et de ton ciel m’envoie

Le jour tant désiré, que sain je me revoie.

 

Lors, mon Dieu, s’il te plaît me remettre en santé,

Le bien que m’auras fait sera par moi chanté.

Lors, ayant dans le cœur empreinte la mémoire

Au bien qu’aurai reçu, j’exalterai ta gloire,

Et partout où j’irai, je dirai que c’est toi

Qui seul m’as délivré de la peine où j’étoi.

Je dirai que jamais ta grand’bonté n’oublie

Celui qui de bon cœur au besoin te supplie ;

Et, Seigneur, s’il te plaît m’en donner le pouvoir,

Je ferai par mes vers ta grand’bonté savoir.

Guéris-moi donc, Seigneur, et de ton ciel m’envoie

Le jour tant désiré, que sain je me revoie.

 

Alors, te rendant grâce, ô grand Dieu, Dieu des dieux,

Au ciel j’élèverai et les mains et les yeux ;

J’irai au temple saint raconter la manière

Comme tu m’as guéri, exauçant la prière.

Lors, mon Dieu, tu seras de maint et maint loué ;

Lors, pour Dieu tout-puissant tu seras avoué ;

Lors, ton peuple assemblé dans ton saint tabernacle

Chantera d’un accord l’honneur de ce miracle :

Et moi, qui serai là élu tout au milieu,

Je leur dirai que vaut d’avoir espoir en Dieu ;

Puis, ployant les genoux sous ta puissance unique,

Dévots, nous chanterons en ton nom maint cantique.

Ainsi, ô bon Seigneur, pour n’avoir guéri qu’un,

Tu seras honoré de la voix d’un chacun.

Guéris-moi donc, Seigneur, et de ton Ciel m’envoie

Le jour tant désiré, que sain je me revoie.

 

D’encens ni de parfums, ni d’éclatante voix,

Je n’adorerai pas les faux dieux faits de bois ;

Je n’abaisserai pas mon chef devant leurs faces,

Ce ne sera pas là que j’irai rendre grâces.

(Ah ! Je faillirais bien, faisant contre ma foi,

Vu que tu es seul Dieu et qu’en toi seul je crois !)

Hélas ! Seigneur, je sais que point tu ne demandes,

Et que tu n’as besoin de nos richesses grandes :

Donc je n’égorgerai ni taureaux ni moutons,

Pour te sacrifier ; tu n’aimes pas tels dons.

Mais tu aimes, Seigneur, que l’homme fuyant vice

D’un cœur humilié te fasse sacrifice ;

Tu es jaloux de nous, tu veux que l’affligé

N’aie recours qu’à toi, pour être soulagé.

Or, mettant donc en toi toute mon espérance,

]’adresserai mes vœux à ta sainte puissance.

Tu seras donc de moi, d’un cœur humilié,

Au milieu des ennuis, maintes fois supplié.

Guéris-moi donc, Seigneur, et de ton ciel m’envoie

Le jour tant désiré, que sain je me revoie.

 

Las ! Seigneur, je sais bien que tu m’aimes, d’autant

Que m’envoyant ce mal, tu vas ma chair domptant,

Et que l’affliction, en ce monde où nous sommes,

Est un témoin fort sûr que tu aimes les hommes.

Je le sais bien, Seigneur, mais quoi ? ma pauvre chair

Impatiente au mal ne fait que se fâcher,

Et rebelle à ton veuil, pour le mal qu’elle endure,

Contrariant l’esprit, toujours elle murmure.

L’esprit tient assez bon, mais, hélas ! Dieu très haut,

Hélas ! il me faudra, si ta main lui défaut :

Il veut ce que tu veux, mais le mal qui le presse

Et, contraint jour et nuit de t’invoquer sans cesse,

Le contraint de crier : « Ô Dieu plein de bonté

Ôte-le de ce corps ou lui donne santé ! »

Guéris-moi donc Seigneur, et de ton ciel m’envoie

Le jour tant désiré, que sain je me revoie.

 

Et si tu me guéris, je pourrai dire alors

Que je suis bien guéri et dedans et dehors.

Si une fois ton œil veut m’œillader de grâce,

Si une fois vers moi tu retournes ta face,

Je ne pourrai vanter que tu m’as dépêché

Le corps de maladie, et l’âme de péché,

Car tes dons sont parfaits, car ta grâce est parfaite,

Car onc chose de toi ne fut à demi faite.

Comme tu es entier et parfait, tout ainsi

Tout ce qui de toi vient il est parfait aussi.

Je le crois fermement, fermement je me fie

Que tu me peux guérir de toute maladie.

Guéris-moi donc, Seigneur, et de ton Ciel m’envoie

Le jour tant désiré que sain je me revoie.

 

Fort grande est mon offense, et je le connais bien ;

Mais au prix de ta grâce, hé ! Seigneur, ce n’est rien.

Si tu veux balancer mes maux avec ta grâce,

Je ne fais point de mal, quelque mal que je fasse.

Mon mal se peut nombrer, mes péchés sont comptés.

Et qui sut onc combien en toi a de bontés ?

Et encore, Seigneur, plus grande est mon offense

Plus, en me pardonnant, tu montres ta puissance.

Qui pardonne cent maux, n’a-t-il pas plus d’honneur

Que n’a celui qui est d’un seul mal pardonneur ?

Guéris-moi donc, Seigneur, et de ton Ciel m’envoie

Le jour tant désiré que je me revoie.

 

 

 

Jean Bastier de LA PÉRUSE.

 

Recueilli dans Anthologie religieuse des poètes français,

t. I, 1500-1650, choix, présentation et notes d’Ivan Gobry,

Le Fennec éditeur, 1994.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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