Le droit d’aînesse

 

 

Te voilà fort et grand garçon,

Tu vas entrer dans la jeunesse ;

Reçois ma dernière leçon :

Apprends quel est ton droit d’aînesse.

 

Pour le connaître en sa rigueur,

Tu n’as pas besoin d’un gros livre ;

Ce droit est écrit dans ton cœur...

Ton cœur ! c’est la loi qu’il faut suivre.

 

Afin de le comprendre mieux,

Tu vas y lire avec ton père,

Devant ces portraits des aïeux

Qui nous aideront, je l’espère.

 

Ainsi que mon père l’a fait,

Un brave aîné de notre race

Se montre fier et satisfait

En prenant la plus dure place.

 

À lui le travail, le danger,

La lutte avec le sort contraire ;

À lui l’orgueil de protéger

La grande sœur, le petit frère.

 

Son épargne est le fond commun

Où puiseront tous ceux qu’il aime ;

Il accroît la part de chacun

De tout ce qu’il s’ôte à lui-même.

 

Il voit, au prix de ses efforts,

Suivant les traces paternelles,

Tous les frères savants et forts,

Toutes les sœurs sages et belles.

 

C’est lui qui, dans chaque saison,

Pourvoyeur de toutes les fêtes,

Fait abonder dans la maison

Les fleurs, les livres des poètes.

 

Il travaille, enfin, nuit et jour :

Qu’importe ! les autres jouissent.

N’est-il pas le père à son tour ?

S’il vieillit, les enfants grandissent !

 

Du poste où le bon Dieu l’a mis

Il ne s’écarte pas une heure ;

Il y fait tête aux ennemis,

Il y mourra, s’il faut qu’il meure !

 

Quand le berger manque an troupeau,

Absent, hélas ! ou mort peut-être,

Tel, pour la brebis et l’agneau,

Le bon chien meurt après son maître.

 

Ainsi, quand Dieu me reprendra,

Tu sais, dans notre humble héritage,

Tu sais le lot qui t’écherra

Et qui te revient sans partage.

 

Nos chers petits seront heureux,

Mais il faut qu’en toi je renaisse.

Veiller, lutter, souffrir pour eux...

Voilà, mon fils, ton droit d’aînesse !

 

 

 

Victor de LAPRADE.

 

 

 

 

 

 

 

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