Au pied de la croix

 

 

Ô Christ ! tu livras donc à nos disputes vaines

Ta croix même et ton sang que tu viens d’y verser !

L’arbre divin fait ombre à nos clartés humaines,

Et notre orgueil le sape au lieu de l’embrasser.

 

Pour moi, Seigneur, si fort que ma raison s’effraie,

Je ne puis m’écarter ni douter de la croix ;

Car j’ai fait plus que voir et que toucher ta plaie,

Je la sens dans mon cœur... c’est par là que je crois !

 

J’y fus aussi cloué sur l’arbre de torture !

Si je rends témoignage à sa divinité,

C’est qu’en moi, dominant l’indocile nature,

La douleur te démontre à mon sang révolté.

 

C’est que je porte aussi ta couronne de ronce,

Que j’ai goûté le fiel du calice infini ;

C’est, ô Christ, qu’à tes pieds, sans obtenir réponse,

J’ai crié bien souvent : « Lama Sabacthani ! »

 

C’est, hélas ! que j’ai vu pleurer sur mon calvaire,

C’est que je vois, martyre y monter à son tour,

Cet ange maternel qui, sous ta main sévère,

À tant souffert pour moi, mais avec tant d’amour ;

 

C’est que je vois tous ceux que j’admire et que j’aime

S’attacher à ta croix et la porter entre eux ;

Et jeter, sous les coups qui m’ont percé moi-même,

Des cris plus résignés, mais aussi douloureux.

 

Et l’homme douterait de l’œuvre salutaire

Qu’accomplit ici-bas l’arbre aux rameaux sanglants !

Lui qui, prêtre et victime en ce profond mystère,

Sur le rocher fatal a souffert six mille ans !

 

L’homme est fier, à bon droit, de sa raison superbe ;

Qu’il soit fier de ses maux dont le ciel est l’enjeu !

En vain il porte en lui quelques rayons du Verbe,

C’est par la croix surtout qu’il ressemble à son Dieu.

 

Triomphez donc, ô vous, qui gardez pour enseigne

Le sanglant labarum à l’amour confié ;

Les temps ne verront pas la fin de votre règne :

Tout l’univers est plein du grand crucifié.

 

Ils sont morts ! ils sont morts avec leur allégresse,

Ces dieux qu’un monde enfant adorait en sa fleur ;

Ils ne revivront plus dans les marbres de Grèce :

La croix est immortelle ainsi que la douleur.

 

Fais-moi donc adorer cette loi qui nous lie

Au gibet où ton fils monte encor chaque jour ;

Donne-moi d’en chérir la sublime folie,

Et d’épouser la croix comme un dernier amour ;

 

Car il n’est ici-bas qu’un seul bonheur paisible,

Qu’on trouve au sein des maux librement acceptés :

C’est l’extase où les cœurs, épris de l’invisible,

Se font de leurs tourments de saintes voluptés.

 

 

 

Victor de LAPRADE,

Œuvres poétiques, vol. I,

Alphonse Lemerre, 1878.

 

 

 

 

 

 

 

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