Suite enfantine

 

 

Ils paraissent, l’un après l’autre, plus ou moins en sommeil, dans la porte de la cuisine,

les yeux pétillants comme le soleil qui ruisselle la lumière aux fenêtres ouvertes sur le jardin,

ou les lèvres maussades, sous l’étreinte d’un mauvais rêve passé cette nuit.

Les parfums de foin mûr et de trèfle pénètrent vite ces jeunes êtres vibrants ; la sève monte...

Entre les gorgées de lait, ils se tracent une lourde journée de plaisirs.

« Les Grâces », à peine s’élèvent-elles vers le ciel... Les enfants prennent la clef des champs.

 

                                           *

                                       *      *

 

Les petits garçons jouent aux chars,

ils montent faucheuses, tracteurs,

bruits continus de freins et ferrailles.

On n’entend plus les chants d’oiseaux

qui, dès l’aube, nous captivaient...

 

Les fillettes parlent beaucoup, mais,

dans le calme, elles se toilettent,

soignent les poupées, se visitent,

tirent l’aiguille pour les marmots,

bien sages, qu’elles chérissent tant !

 

Mais, c’est vraiment trop de tranquillité.

Frères et sœurs se retrouvent sous les ormes :

« Pourquoi pas une ronde ? Sur le pont d’Avignon ? »

Et le vent emporte les chants : « Tout le monde y passe... »

Jusqu’aux bois voisins distraits par ces échos.

 

Des cris, des rires ! La danse devient une fuite

devant le loup qui les mangera tous...

Ils tombent, épuisés, au milieu du foin

qui les embaume, les caresse, s’entremêle

aux cheveux blonds fondus dans cette mer d’or.

 

Calmés par l’étreinte parfumée et chaude de soleil,

les petits se glissent à l’ombre des vieux arbres,

prenant livres d’histoires, crayons, pastels...

Ils dessinent des paysages naïfs, se disent des contes,

et les question fourmillent et la mère répond par miracle !

 

Quel coup de vent passe ? La tempête rompt l’accalmie :

taquineries des garçons ; mauvaises têtes des filles...

C’est l’heure où la nature se replie pour la nuit.

Allons ! Les petits ! Les oiseaux rentrent au nid ;

seuls, les engoulevents maraudent chez la lune.

 

                                           *

                                       *      *

 

En toilette de nuit, les minois rafraîchis, ils s’agenouillent près de leurs petits lits ;

les mains jointes et les paupières basses retenues par le bon vouloir ;

par moment, les yeux se perdent dans la somnolence ou le rêve ; bébé murmure des « Jésus » sans fin...

Dans la pénombre de la chambre, la voix de l’aînée comment la psalmodie du soir :

« Mettons-nous en la présence de Dieu et adorons-le... »

Le silence, avec la noirceur, monte d’étage en étage, dans la vieille maison, encore ébranlée,

par les dernières courses des pieds nus et les derniers éclats de voix.

 

Là-haut, sous le toit, les jeunes êtres passent des sursauts de vie au sommeil profond.

Les clartés lunaires, aux fenêtres, estompent la masse noire des arbres, sur les prairies d’argent.

La maman, près des lits, unit l’extase de cette nature en beauté

à l’extase d’amour, devant ces têtes d’enfants reflétant la paix, la candeur,

et dans un élan de joie, son âme chante le cantique de toutes les mères : Magnificat !

 

 

 

Jeanne L’ARCHEVÊQUE-DUGUAY.

 

Paru dans l’Almanach de l’Action sociale catholique en 1942.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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