Procession de la Fête-Dieu

 

DANS UN HAMEAU.

 

 

Bientôt l’airain bruyant dans les airs entendu

Annonça du départ le moment attendu.

Le hameau s’avançait partagé sur deux files :

Fuyez loin de ces lieux, faste brillant des villes.

Là ne se montraient point ces tissus précieux ;

L’or, l’opale, l’azur n’y frappaient point les yeux ;

Des bouquets sans parfum, enfants de l’imposture,

N’y chargeaient point l’autel du Dieu de la nature ;

Et des puissants du jour l’orgueilleuse grandeur

N’y venait point du luxe étaler la splendeur :

Combien je préférais la pompe du village !

Modeste, sans apprêt, et même un peu sauvage,

Sa vue attendrissait le cœur religieux.

D’abord des laboureurs, vieux enfants de ces lieux,

Au front chauve attestant leur utile existence,

Sans ordre s’avançaient et priaient en silence.

Le cortège pieux, non loin, à mes regards

Se montrait précédé des sacrés étendards.

Le feuillage bientôt le couvrit de son ombre ;

Dans un sentier profond, asile frais et sombre,

La foule se pressait sur les pas de son Dieu,

Et de ses chants sacrés venait remplir ce lieu,

Devant le roi des rois, sous ces vertes feuillées,

Les jeunes villageois, de roses effeuillées

Sur la terre à l’envi parsemaient les couleurs ;

Et mêlant son parfum au parfum de ces fleurs,

L’encens qui de Saba fit l’antique opulence,

Comme un nuage au loin qui dans l’air se balance,

S’élevait lentement et planait dans les champs.

Aux voix des laboureurs, entremêlant leurs chants,

Les oiseaux s’unissaient à ces pompes rustiques ;

Et de son palais d’or embrassant les portiques,

Le soleil, couronné d’une immense splendeur,

Sur ces arbres touffus arrêtait son ardeur.

 

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Non loin, couvert de lierre et rembruni par l’âge,

Un chêne vénérable étendait ses rameaux.

Là, dès le point du jour, les vierges des hameaux

Élevaient sous son ombre un trône de verdure.

La mousse, en longs festons, en formait la bordure ;

Le lis, aux deux côtés, balançait sa blancheur.

L’Éternel, sur ce trône orné par l’innocence,

Devait quelques instants reposer sa puissance.

À l’aspect de ces lieux, je sentais dans mon cœur

Couler d’un calme pur la secrète douceur,

Et ma pensée, alors tranquille et solitaire,

Pour un monde meilleur abandonnait la terre ;

Alors, faisant cesser ce calme solennel,

Le hameau lentement environna l’autel.

Avec quel saint respect le pasteur du village,

Seul, et foulant les fleurs qui couvraient son passage,

Porte le Roi des rois et l’élève à nos yeux,

Sous l’emblème immortel d’un pain mystérieux.

La foule tout à coup, prosternée en silence,

Du Roi de l’univers adora la présence.

Chacun crut que son Dieu descendait dans son cœur :

Non ce maître irrité, en monarque vengeur

Oui doit au dernier jour, s’armant d’un front sévère,

Au fracas de la foudre, apparaître à la terre,

Et juge sans pardon, au monde épouvanté,

De ses arrêts divins proclamer l’équité ;

Mais un Dieu tempérant tout l’éclat dont il brille,

Tel qu’un père adoré se montre à sa famille,

Accueillant l’infortune et portant dans les cœurs

L’espoir d’un meilleur sort et l’oubli des douleurs.

 

 

 

Philippe de LA RENAUDIÈRE.

 

 

Recueilli dans

Choix de poésies morales

et religieuses, 1837.

 

 

 

 

 

 

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