Orage et adversité

 

 

                                           La vie est un combat.

                                                BEAUMARCHAIS.

 

 

C’était un jour d’été ; j’errais dans la campagne,

Seul avec mon penser pour guide et pour compagne,

                 Perdu dans un rêve infini...

Toutes les fleurs des champs saluaient ma venue,

Tous les petits oiseaux gazouillaient à ma vue :

                 Le soleil brillait au zénith !...

 

Et j’allais – du regard caressant marguerites,

Véroniques, bluets, toutes fleurs si petites

                 Mais qui font tant de bien à voir ;

À pleine voix aussi chantant aux alouettes,

Répondant aux pinsons, aux merles, aux fauvettes,

                 J’errais, le cœur ivre d’espoir...

 

Bientôt, à l’horizon, apparut un nuage,

Cependant : le soleil pâlit – c’était l’orage :

                 Tout fut silence autour de moi...

Puis, le vent, tout-à-coup, sous son souffle rapide,

Brisa chênes et fleurs, humble épi, tronc splendide,

                 Furieux sans frein et sans loi !...

 

Les oiseaux effrayés se tenaient sous la branche,

Mais tout un peuple entier – ainsi qu’une avalanche,

                 De mouches et de papillons

Emporté par le vent, roulé dans la poussière,

Ne luttait même plus à son heure dernière

                 Et tombait mort dans les sillons !...

 

Je vis alors, je vis une charmante abeille

Qui volait avec calme et comme par merveille,

                 Seule ainsi résistant au vent ;

Elle vint s’abriter, près de moi, sous un orme

Dont les rameaux tordus et dont le tronc difforme

                 Ont bravé la foudre souvent.

 

Et je me ressouvins d’avoir lu dans un livre

Que l’abeille, ici-bas, ingénieuse à vivre,

                 Surprise à butiner les fleurs,

Par l’orage soudain, loin de ses chers pénates,

Prend alors un caillou dans ses petites pattes

                 Et du vent brave les fureurs ;

 

Car ce poids la soutient dans la vague éthérée

Qui roule et qui meurtrit, qui noie en sa marée

                 Ce qui vit et lui sert de but.

Ainsi, le naufragé, dans l’horrible tempête,

Submergé par la lame, inébranlable athlète,

                 D’une planche fait son salut !...

 

Donc, quand l’adversité sur nous ainsi s’élance,

Semblable en son courroux au mistral de Provence,

                 Pour nous étouffer dans ses bras,

Opposons-lui, de même, un poids d’œuvres pieuses,

De solides pensers, prières généreuses,

                 Et nous ne succomberons pas.

 

 

                                                  ENVOI.

 

– S’il est vrai que toujours la muse doit un chant

À toute action sainte, à tout acte touchant

                 Pour les glorifier sur terre ;

S’il est vrai qu’il est beau, bravant l’adversité,

De ne pas succomber sous la fatalité,

                 De lui rendre guerre pour guerre !

 

Comme un barde inspiré, j’aurai des chants pour vous,

Et tous, en les lisant, fléchiront les genoux,

                 Ô courageuse jeune fille !

Car le travail rend saint comme aussi le malheur !

Il fait l’esprit plus ferme et plus noble le cœur,

                 Et sur vous l’auréole brille !...

 

 

E. LA RIVIÈRE.

 

Recueilli dans la Tribune lyrique populaire en 1861.

 

 

 

 

 

 

 

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