Miryam-Marie

 

 

 

« Ils n’ont plus de vin ! Faites tout ce qu’Il vous dira. »

en saint Jean, II : I, II.

 

MARIE, qu’y a-t-il de commun entre Vous, modeste nazaréenne voilée par la foule des convives, et la Miryam du Cantique appelée à réjouir et honorer Jérusalem de ses noces triomphales ? Qu’y a-t-il de commun entre Votre sein clos sur ses noces virginales et cette amphore hébraïque en forme d’œuf ; entre cette pyxide de Votre cœur ouvert et cette stérilité béante du cœur d’Israël ? Quel lien possible entre la fluidité de Votre regard et l’opacité plus serrée sur soi que le centre du roc ?

Il y a là six urnes, six fois six générations et plus occupées à durcir chaque iota de la loi, chaque grain de l’argile mosaïque, à perpétuer le vide d’une espérance désespérée. Comment seriez-Vous confirmée Vase d’Élection quand on voit ces urnes encore moites des eaux rituelles et purificatrices, quand on entend leurs flancs sonores retentir des gémissements messianiques ?

Vous, Vous avez été fécondée, ensemencée, écrasée comme une motte de terre grasse. Gratia plena ! Vous avez trop obéi. Puis, Vous avez trop jailli, ô fontaine naïve empressée aux louanges amoureuses de l’Époux ; et Vous Vous êtes magnifiée dès le commencement, avant la fin de la fête. Ô Rosée, que Vous avez été prompte à imprégner la terre tandis qu’Israël s’enfouissait sous son obscurité pour la transformer en diamant, en ces pierres précieuses qu’assemblera Jéhovah lorsqu’il édifiera le mur et le contre-mur de son royaume. Que leur importe d’être ces récipients manipulés par des mains esclaves, ces cavités à boire la haine universelle, ils n’ont point trahi la forme prédestinée ni toléré, de l’épaule à la base, l’onction de l’huile chrétienne. Leur cohérence, c’est l’orgueil, c’est cette paroi circulaire où trébuche la lumière. Ô Marie ! leur néant, c’est cette mesure entêtée à limiter Votre béatitude. Vous, Marie, Vous êtes ce qu’il fallait renier, la transparence, la porosité, et surtout cette humilité vibrante de la mer quand elle enfante le Soleil ! Eux, ils sont le désert, la sainte aridité, tout lieu nettoyé des apparences, des fécondités parasitaires ; la seule dureté nue où le feu pourrait descendre.

Ô Miryam, toi qui à Bethléem pleurais tes fils aînés, ô Rachel de la Salette retrouvant cette amertume pour tes derniers-nés, que feras-tu de ces urnes qui ne veulent point de ta douleur maternelle, pas plus qu’ils n’ont voulu de ta joie d’Épousée ?

Marie, Vous qui pouvez d’un seul soupir susciter le vase parfait de l’orme, et il vient avec le vin violent de la sève et l’action de grâces des oiseaux ; Vous qui n’avez point parlé tout au long de Vos accordailles secrètes et tout au long de ce dialogue tacite avec l’Amour ; Vous qui n’avez d’autre autorité que la tendre soumission du sourire, d’autre puissance que Vos pleurs muets, que direz-Vous à l’heure de la confusion de l’Époux frustré du vin d’honneur ?

Reste-t-il au flanc aigri d’Israël quelque suint où mirer Votre compassion, quelque fêlure où introduire Votre jubilation ?

Miryam, petite Youtre, toi qui conversais avec les anges, ô Sagesse dont le silence pugnace a délié Jésus du sein du Père et lié Lucifer à lui-même, par quel cri de pitié empêcherez-Vous le Potier de briser ces urnes retranchées des noces ?

– Moi, dit Miryam-Marie, quand l’heure sera venue, j’oublierai le Juste, j’oublierai le reproche de l’Hôte et le scandale des invités ; moi, la Sagesse, j’ouvrirai la bouche et je ne me souviendrai plus du rassasiement du pain ni de la consolation du vin. Quand mon heure sera venue, je la devancerai ; je me tournerai vers mon peuple, et cette veine de mon sang qui n’a point cessé de courir et de mourir à travers cette argile desséchée, je la ressusciterai.

Pour la première fois, je COMMANDERAI !

Et quand ces sépulcres taris et blanchis seront remplis jusqu’au haut de la force de l’Épouse (ô condescendance de mon Époux !) ils céderont de toutes parts à l’ivresse de ma plénitude meilleure que l’ivresse de leur soif !

 

 

 

Rina LASNIER.

 

Paru dans la revue Marie

en juillet-août 1950.

 

 

 

 

 

 

 

 

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