Le visage de l’amour
par
Rina LASNIER
L’AMOUR c’est la présence, le face à face ; le reste est désir. Or le Dieu que nous contemplerons sans fin n’aura pas de visage, et pourtant l’homme glorifié aura le sien. Que sera donc ce visage de l’Amour ? Mystère. Mais n’y aura-t-il pas l’Homme-Dieu, ce Jésus ressuscité, cette divine amitié venue nous unir à la Trinité ; n’y aura-t-il pas (si j’ose ainsi parler) ce degré intermédiaire offert à notre impuissance ? Comment se produira cet échange, soit dans la ténèbre noire de la terre, soit dans la ténèbre rouge de l’éblouissante béatitude ? Quelle douceur, quelle aménité viendra secourir la joie comme elle a secouru la douleur ? Quel feu consommera l’alliance et l’identification même avec la Substance, comme la couleur fixée et fondue à la glaise cuite ? Ne faut-il pas que chaque trait humain soit appliqué à chaque trait divin, que chaque front baptisé s’aille inscrire à la Pierre d’angle et que l’œil s’aille foudroyer dans le Regard, que le cœur s’aille consumer dans le Cœur trinitaire ? Ne faut-il pas que chaque visage humain soit montré, offert au visage de l’Amour, point par point ?
Comment cela s’opérerait-il sans la lumière, sans le flambeau et le flamboiement, sans le Buisson ardent, sans Marie, seul lieu de la vision et de la fusion ? C’est elle qui substitue toujours à l’immensité de Dieu la grâce de son visage, afin de supprimer la moitié de la distance entre le Tout et le rien. Elle, l’Épouse, elle seule appelée à paraître avant même que d’être. Lève-toi, mon Amie, ma Belle, montre-moi ton visage ! C’est elle le carrefour de la clarté où Dieu voit le pécheur ; c’est elle l’ombre où le pécheur voit Dieu... C’est elle cette naïveté désespérante qui prend tout ; elle, cette Sagesse tôt levée qui donne tout.
Quand l’homme pauvre abîme sa face dans l’humble nuit de ses deux mains parce que plus rien en lui ne répond à la figure de l’Amour et qu’il est tenté de s’enfuir dans l’opacité, elle remue la tête, comme son Fils au sommet de Sa destruction.
Elle remue toutes les eaux amères de sa douleur, et l’homme pauvre relève sa face perdue de larmes ; il voit dans ce faisceau de lumière déliée, dans ce torrent qui vient le décoller de sa propre chair et de sa propre misère ; il voit que Dieu ne voit plus rien, rien que cette irrésistible maternité d’où Il jaillit à chaque fois qu’à son tour Marie lui demande de paraître, de montrer le visage de l’Amour, du Christ amoureusement défiguré... à notre ressemblance.
Rina LASNIER.
Paru dans la revue Marie en juillet-août 1949.