La croix des champs
COUTUMES BOULONNAISES
Dans nos hameaux croyants, sur les murs de leurs fermes,
Bien des anciens encore, âmes simples, mais fermes,
Se plaisent à tracer le signe du salut.
Mainte chaumière aussi, sur le bois vermoulu
De sa porte déjointe, à tous les vents branlante,
Garde la même Image auguste et consolante.
– Comme sur les landiers et les îlots bretons,
Telle la croix partout règne sur nos cantons.
Chez nous, comme là-bas, ô peuple bucolique.
Tu vis, les yeux fixés sur l’arbre évangélique,
Et c’est ce qui te rend si loyal et si fort.
– Quelqu’un, dans le logis, est-il frappé de mort,
Par la famille en pleurs pieusement tressée,
Vite, une croix de paille au dehors est placée,
Jusqu’au jour du convoi semblant redire à tous :
« Priez pour lui, comme il aurait prié pour vous ! »
Puis, en ce jour sacré, lorsqu’au son de la cloche,
Par les chemins couverts, l’humble cortège approche,
Et qu’il arrive auprès d’un calvaire des champs,
Suspendant aussitôt les prières, les chants,
On s’arrête, on se signe, et, sur le grés rustique,
C’est une croix encor, suivant l’usage antique,
Que l’on dépose au nom de celui qui s’en va...
Et cette croix s’ajoute à celles qui sont là,
Pêle-mêle, sans nombre, hélas ! vieilles et neuves,
Mais que connaissent bien les mères et les veuves.
– Dans ces terres, l’enclos des morts est trop lointain
Pour qu’on y puisse aller prier, chaque matin ;
Mais, revenant ici, lorsqu’il sort pour l’ouvrage,
Chacun croit saluer ses défunts au passage,
Et, souvent, vous verriez se mouiller plus d’un œil,
Devant ce bois bénit qui toucha leur cercueil.
Chers ex-voto de deuil ! À l’un de nos calvaires,
J’en vis un, l’an dernier, fleuri de primevères.
On était en Avril... Les jours d’été venus,
Je le revis orné de bleuets ingénus ;
Et, quand je repassai, pendant les froids d’automne,
Buis et houx lui faisaient une sombre couronne...
– De quel bonheur fauché, de quel amour en pleurs,
Traduisiez-vous la plainte, et qu’étiez-vous, ô fleurs :
Adieu d’un pâtre enfant à sa petite amie,
Ou tribut d’une fille à sa mère endormie ?
Je ne sais. Mais, longtemps, dans le gazon rouillé,
Je restai devant vous, et quand je m’éveillai
Plus tard, de ma pieuse et tendre songerie,
Je pleurais... – Ô les champs, où l’on aime, ou l’on prie,
Où l’on peut, loin d’un monde égoïste et moqueur,
Oublier sa pensée et recouvrer son cœur !
Gaston de LA SOURCE.
Paru dans L’Année des poètes en 1897.