L’ermite

 

 

Lune luisante aux lauriers,

Toute plante est musicale :

Souffle aux deux genévriers,

Fais sonner les campanules !

Sur le mont conique l’ermite

Passe ainsi son heure d’ébats

Dans le jardin entre les schistes

Qu’un ange casanier planta.

Un petit taureau le défend

Contre curieux et touristes,

Noir et bourru, l’étoile au front,

Mais amoureux de son ermite,

Né d’une vache pour le lait

Que des rôdeurs lui ont volée ;

Car il ne faut plus rien avoir,

Ne pas tenter les démons jaunes

Qui gîtent au creux de tout homme :

Il en erre encore un ce soir.

L’ermite le voit dans la lune,

Et son cœur contracté gémit

De sentir venir l’ennemi.

Au carillon de campanules

Le vent renforce sa cantate

Et le saint y mêle sa voix :

Jamais voleur ne l’entendra,

Mais aux prunelles qui convoitent

Le petit taureau inquiet,

Peut-être le démon lové...

Et le vieillard respire mal

D’abandon, de renoncement...

Le diable devient nœud coulant

Autour du cou de l’animal

Qui va combattre dans l’arène

Devant un peuple bariolé...

La lune luisante aux lauriers,

Le vent dans les clochettes naines,

Le moine aux deux genévriers

Jouent le psaume du sacrifice

Et le Te Deum de l’office

De nuit des monts et des forêts.

 

 

 

 

Patrice de LA TOUR DU PIN.

 

Recueilli dans Les poètes de la vie :

œuvres inédites d'auteurs contemporains,

choix de Louis Vaunois et Jacques Bour, 1945.