Naissance de Jean de Flaterre

 

 

Mes pas sont transportés par cet enfant à naître !

C’en est un, c’en est un qui bouge – et je sens bien

Comme si j’arrêtais mon cœur, battre le sien

Plus intimement près que toute chose au monde !

Ah ! puis je avoir deux vies à la même seconde

Dont une nourrit l’autre ? – et devrais-je connaître

L’éloignement du plus petit de ces deux êtres

Quand je mourrais de l’autre avec tant de bonheur,

Pourvu que celui-là jouisse de la terre ?

 

Faut-il le déposer dans cette clairière,

Loin des yeux étrangers – qui seraient incapables

De bien le refléter, dans sa forme adorable

Et son sourire – et le couvrir de ma buée

Avant de le laisser aller au froid du monde ?

Il l’apprendra trop tôt, il peut l’aimer sans moi ;

Car il est de ma chair qui s’est habituée

Aux caresses de chair, de mon haleine blonde

Qui ne s’étonne plus d’errer dans un tel froid.

Prends mon cœur dans le tien, comme je fais moi-même,

N’oublie pas que longtemps nous battîmes ensemble,

Qu’aujourd’hui nous avons couru beaucoup trop fort,

Que nous fûmes tous deux habitants de mon corps...

Je te la montrerai, la grande nuit que j’aime,

Tu auras peur, je sais comment les hommes tremblent

Des berceuses que seule elle peut murmurer...

Écoute-là déjà... Ne t’effraie pas, repose,

C’est moi qui parle, moi qui te décris les choses

Et toi, tu les vivras... As-tu hâte de vivre,

Mon tout petit vivant, mon adoré, mon adoré...

– Et tu me fais le mal de la mort qui délivre !

Attends encore un peu, sois calme, vraiment calme.

Ce n’est pas tout à fait ta place sous ces charmes,

Je veux aller plus loin, où nul ne trouvera

Ma trace, où nul regard ne me dérangera ;

Et quand je t’aurai vu, nous irons vers les hommes...

L’endroit de ta naissance aura cette tiédeur

Que rend la terre aux soirs de printemps où nous sommes,

Pour ne pas crevasser, et protéger les fleurs.

Tu sauras patiemment ce qu’elle est, notre terre,

Ses moments merveilleux, ceux qui déçoivent tant,

Mais aucun de ses corps ne t’aura pleinement

Comme je t’ai en moi... Sois calme pour ta mère...

 

 

 

Patrice de LA TOUR DU PIN,

Une somme de poésie.

 

Recueilli dans Poèmes du foyer,

rassemblés et présentés par H.-Ch. Chéry,

Éditions du Feu nouveau, 1949.