Le roi

 

 

                              I

 

Sur la côte de Normandie,

Où le soir, comme un incendie,

Le soleil descend dans les flots,

Le roi vient quelquefois encore

Sous la falaise âpre et sonore

Entendre un chant de matelots.

 

Une église à la cité chère

Déchue, mais encore fière

De ses merveilles d’autrefois,

Regarde la maison royale,

Comme à l’époque féodale

Se regardaient papes et rois.

 

L’autre nuit, de ses noires ailes,

L’ouragan heurtait les tourelles ;

On dormait mal au vieux château,

Et dans ces superbes demeures,

L’enfant des rois comptait les heures

Comme le pauvre en son hameau.

 

Et le matin, sur la vallée,

Toujours terrible, mais voilée.

La foudre passait avec bruit ;

Tout se taisait : sous la tempête,

Les mâts, au port, courbaient la tête :

On avait peur comme la nuit.

 

Cependant la sombre tourmente

Sur l’église passe impuissante,

Épargnant aussi le château.

Et s’en va, tout près de la terre,

Verser le feu de sa colère

Sur quelques gerbes en faisceau.

 

Le lendemain, vers la montagne

Où domine sur la campagne

L’église antique de Tréport,

Deux humbles convois cheminèrent,

Et tous les pêcheurs se signèrent,

En disant tout bas : c’est la mort !

 

À leurs gémissantes familles

Manquaient, hélas ! deux jeunes filles,

Fruits ravis avant la saison ;

En tombant, la foudre envieuse,

Avait frappé la moissonneuse,

En même temps que la moisson !

 

 

                              II

 

Ne dites pas, ô tristes mères !

Que le Seigneur garde aux chaumières

Les plus terribles de ses coups,

Et, quand sur vous la foudre tonne,

Qu’il laisse en paix sous leur couronne,

Les grands dormir auprès de vous.

 

Il est vrai, quelquefois la foudre

Éclate, brûle et met en poudre

Le frêle chaume des pêcheurs,

Tandis que sur la même plage,

Échappent aux traits de sa rage

Deux jeunes princes voyageurs.

 

Voilà vos filles trépassées,

Et sur leurs couches délaissées

Tombent épars vos cheveux gris,

Tandis qu’assise sur la soie,

Une reine, en sa douce joie,

Attend le retour de ses fils.

 

Aujourd’hui, quand les vôtres meurent,

Ceux-là vivent, et vos yeux pleurent

Des pleurs inconnus à leurs yeux ;

Mais vers Paris, ô pauvres âmes !

Regardez bien ! et puis, ô femmes,

Allez encor vous plaindre aux cieux !...

 

Toujours prête, une balle impie,

Lorsque le roi passe, l’épie,

Et le couvre du sang des siens,

Et chaque jour l’auguste tête

Traverse la même tempête

Le front calme et les yeux sereins.

 

Ici du moins la foudre passe,

Ici le lendemain efface

Le noir sillon de l’ouragan,

Et chacun, avec confiance,

S’endort, le soir, dans l’espérance

Des bienfaits du vieil Océan.

 

Mais, ô mon Dieu ! lorsqu’en ce Louvre

Votre regard plonge et découvre

Un roi grand, équitable, humain,

Donnez-lui donc, en cette vie,

Les nuits du pauvre qui l’envie

Et qu’il abrite sous sa main.

 

 

 

Antoine de LATOUR.

 

Paru dans L’Anémone, annales romantiques en 1837.

 

 

 

 

 

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