Triptyque du Christ voilé

 

                    PANNEAU CENTRAL

 

Il se dresse très haut dans le ciel terne et vide,

Si douloureux dans l’âme et navré dans le corps

Qu’on a voilé ses yeux d’une pitié perfide.

 

Il a peur : il n’ose pas voir venir la mort,

Une mort gambadante et folle, une mort-chèvre

Tenue en laisse et prête à prendre son essor ;

 

Plus bas, si près de Lui, qu’ils ont cloué leurs lèvres

Sur la plaie d’où le sang s’échappe doucement,

Tous les Quêteurs de Joie, brûlant de quelle fièvre ;

 

Ils ont jeté leurs oriflammes rouge et blanc,

Et les calices qu’ils remplacent par leurs bouches,

Tellement ils ont peur de perdre un peu de sang.

 

Les enfants... ils ne paraissent pas très farouches :

Ils se sont approchés pour reconnaître mieux

Ce Christ nu, que des mains de gens inconnus touchent ;

 

Ils ont abandonné leurs mères et leurs jeux :

Ils ne savent pas bien si leurs cœurs se déchirent :

Leurs yeux puérils sont follement curieux :

 

Ils ont déjà senti qu’il essaie de sourire

Derrière le voile, pour la dernière fois,

Tant s’approche la Mort dansant comme un Satyre.

 

La Foule... elle est venue à ce jeu de la Croix,

Vêtue de pourpre et d’or comme pour une fête

Et l’entoure de loin attentive et sans voix ;

 

Aux ailes quelques-uns ont relevé la tête,

Crevant le ciel désert des anges envolés

N’importe où, par terreur de la grande tempête

 

Sur ce Christ de haute noblesse, aux yeux voilés.

 

 

 

Patrice DE LA TOUR DU PIN,

Une Somme de poésies, Gallimard.

 

 

 

 

 

 

 

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