Poète, lève-toi

 

 

– « Poète, lève-toi ! » dit la forêt sonore ;

– « Poète, viens vers nous ! » disent les jeunes fleurs ;

« Les hymnes de vingt ans sont toujours les meilleurs. »

Le Poète s’éveille et regarde l’aurore.

 

Et voici qu’en son cœur il sent naître soudain

Cette plante d’espoir que Ton nomme le Rêve

Et dont la graine d’or vint des cieux, un matin ;

Il sent bouillir son sang comme une forte sève ;

Il contemple, il écoute : « Oh ! le riant jardin ! »

Mais, tout riant qu’il soit, son âme y trouve un vide ;

Le Poète se sent tenaillé d’un désir

Si vague que l’objet ne s’en peut pas saisir,

Et vers le ciel immense il tourne un œil avide.

 

Et son désir s’exhale en un très long soupir.

 

            « Des ailes ! donnez-moi des ailes !

            Oui, je veux m’élancer là-haut ;

            L’azur fascine mes prunelles,

            Et c’est l’air libre qu’il me faut :

            Des ailes, des ailes puissantes !

            Oh ! dans les clartés frémissantes

            Des aubes toujours renaissantes,

            Je veux baigner mon fier essor ;

            Je veux suivre le vent qui passe ;

            Je veux m’enfoncer dans l’espace ;

            Je veux inonder votre face

            De mes baisers, Étoiles d’or !

            De l’Inconnu plein de fantômes

            Viennent d’harmonieuses voix ;

            Lèvent m’apporte des arômes

            Que n’ont pas les fleurs que je vois ;

            Ma poitrine gronde et s’embrase ;

            À moi l’Amour ! à moi l’Extase !

            Je veux m’abreuver à ce Vase

            Qui fait du Rêve le Réel ;

            Je veux monter, monter sans cesse,

            Et cueillir les fleurs de tendresse

            Dont l’odeur, douce et charmeresse,

            Descend vers moi, comme un appel ! »

 

 

 

Philéas LEBESGUE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

 

 

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