Le chant des nuages
Breton, je chante les nuages,
Aventuriers du ciel profond.
Leur mer est la mer sans rivages :
Sans atterrir jamais, ils vont !
Jadis, mes nomades pensées
Rêvaient de monter à leur bord,
Pour ces divines traversées
Qu’on fait, peut-être, après la mort.
À les voir voguer dans l’espace,
On dirait qu’indéfiniment
C’est l’escadre de Dieu qui passe
Tout au large du firmament.
Ils ont pour fanaux les étoiles.
Le soir descendu, le jour clos,
On entend chanter dans leurs voiles
De mystérieux matelots...
Parfois aussi, formes étranges
D’un monde ailé qui toujours fuit,
Ils semblent un chœur de beaux anges
Agenouillés devant la nuit.
Ils doivent connaître des psaumes
Qui font s’entr’ouvrir à leurs pas
Les Cités d’en haut, les Royaumes
Où nos cœurs aspirent d’en-bas.
Et, comme un temple de silence,
Le ciel s’agrandit dans le soir ;
Et la lune au vent se balance
Avec des lenteurs d’encensoir.
Cœurs changeants, épris de voyages,
Les Bretons, ce peuple banni,
Se sont faits, comme leurs nuages,
Les pèlerins de l’Infini.
Anatole LE BRAZ.
Paru dans L’Année des poètes en 1892.