Vœu

 

 

C’est par un soir de Mai que je voudrais mourir.

Les soirs de Mai sont beaux ; la terre va fleurir ;

L’air est comme peuplé de voix inentendues,

Et l’on sent Dieu qui passe au fond des étendues.

Dans les lointains, ainsi qu’une paupière d’or,

S’abaisse le couchant sur la mer qui s’endort.

Les nuages, vêtus de gaze aux longues franges,

Glissent, furtifs et doux, et c’est comme un chœur d’anges

Qui des hauteurs du ciel descendraient vous chercher.

 

Le paisible Angélus de quelque vieux clocher

Tinterait seul mon glas aux paroisses prochaines.

Dans les sentiers bretons pleureraient les grands chênes.

Le laboureur tardif qui s’en vient en chantant

Vers sa maison de chaume où le sommeil l’attend

Se signerait la bouche, en fermant la barrière,

Et, sans savoir mon nom, m’enverrait sa prière.

 

La paix du soir invite à de vastes oublis.

En mai, l’espace ondule, et, derrière ses plis,

On entend, on voit presque errer la grande chose ;

La pierre du tombeau n’est plus la porte close ;

Tout rassure, et la nuit même, la nuit d’été

N’est qu’une transparence autour d’une clarté.

L’œil qu’on ferme ici-bas, là-haut s’éveille étoile ;

Le silence a chanté, l’inconnu se dévoile ;

Comme un seuil lumineux, le ciel semble s’ouvrir...

C’est par un soir de Mai que je voudrais mourir.

 

 

 

Anatole LE BRAZ.

 

Paru dans La Semaine littéraire le 4 mars 1899.

 

 

 

 

 

 

 

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