À M. Auguste Bertout

 

 

L’ami qui terrassait d’un bras si fier l’ennui,

Et qui, joyeux et fort, comme au temps de Shakespeare,

N’était rien que chansons : votre fils blond, celui

Dont ma mémoire en elle a gardé le beau rire,

 

Il est mort. – Et sa mère est morte ; et je les vois

Tous les deux étendus, notre absent, votre absente, ...

Dans la foule sans chair, dans la foule sans voix,

Sur qui s’effeuille au vent la rose pâlissante...

 

Et, vous mêlant au chœur des souverains Esprits,

Dont l’œuvre par le temps n’est pas encor glacée,

Dans votre isolement sacré, vous avez pris

Pour féconde et suprême épouse, la pensée.

 

Les vers que vous rythmez ont la flamme ; pourtant

Un solennel reproche au destin y persiste ;

Même quand vous chantez l’amour jeune, on entend

Je ne sais quels échos du grand Lucrèce triste.

 

Mais voyant s’éveiller au fond de l’homme un Dieu

Dont il faut que le jour sans déclin resplendisse,

Voyant le mal tomber sous le talon de feu

De l’amour et le pied puissant de la justice,

 

Vous devinez le chant du futur Univers

Et des Triomphateurs qui ne sont pas encore,

Et, malgré les tourments que vous avez soufferts,

Veilleur aux blancs cheveux, vous sonnez cette aurore.

 

 

 

Louis LE CARDONNEL.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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