DANS LE JARDIN D’ASSISE
Salut, vous si longtemps quittés par moi, feuillages
À qui la brise à peine imprime un frisson lent ;
Jardin, de qui j’aimais sentir les hauts ombrages
M’épancher leur fraîcheur dans le matin brûlant.
Je vous reviens d’un pas, peut-être moins agile
Mais la cithare luit toujours entre mes mains,
Et toujours je m’avance entre Dante et Virgile,
– Poète délivré des ténébreux chemins.
Je vois de clairs rayons glisser d’arbres en arbres :
Et voici m’apparaître, aux jeux du jour, encor,
Au milieu des bosquets, ces urnes et ces marbres
Que tant de longs juillets ont comme imprégnés d’or.
Au détour d’un sentier sinueux je retrouve,
Non loin de la blancheur d’un chaste Éros ailé,
Faite d’un airain noir, cette farouche Louve ; –
Il semble que le Temps, pour moi, n’ait pas coulé !
Ici vous m’entouriez, ô troupe harmonieuse,
– Ainsi que l’ont chanté mes rythmes pleins d’amour –
Troupe aimable et pensive, encor plus que joyeuse,
Faite pour me survivre et me bénir un jour.
Une ardeur ingénue enflait votre poitrine.
Et, lorsque nous allions à travers les matins,
Je ne sais quel rayon de la Beauté divine,
En vous se reflétait, et vous faisait divins.
Comme nous avons dit de magnifiques choses,
Âmes prenant l’essor, esprits nés pour le ciel !
Vos lèvres souriaient, à la sagesse écloses,
Vos paroles n’étaient que lumière et que miel.
Alors moi, rajeuni, charmé par votre étreinte
D’adolescents élus et de jeunes chrétiens,
Afin de vous louer touchant la Lyre sainte,
Je sentais naître en moi des chants Assisiens.
Saurai-je l’évoquer dans ces stances, l’image
D’un pour qui j’ai souffert, souffert suavement ?
Il est mûr aujourd’hui : mais j’aimai son bel âge
Et dans mon cœur j’en garde encor l’enchantement.
– Mais toi qui n’as pas eu ta place dans ce monde,
Leonelli, si beau sous le divin rayon,
Mâle fils d’Italie, âme grande et profonde,
Au combat t’élançant – tel un jeune lion. –
Oh ! comme, débordant de vie et de pensée,
Ignorant que tes jours devaient si tôt finir,
Sous tes fiers cheveux blonds la tête renversée,
Tu semblais du regard défier l’Avenir !
Au milieu d’un fracas de stupide mitraille,
Soudain s’anéantit le grand destin rêvé.
Et, l’orage fini, sur le champ de bataille,
De ta forme terrestre, on n’a rien retrouvé !...
D’autres qui m’entouraient sous l’abri des verdures
Comme toi sont tombés, de leur sang tout vermeils :
J’écris leur épitaphe et crois voir leurs blessures
Éclatantes là-haut de l’éclat des soleils.
Mais vous que, loin de moi, la vie, hélas, emporte,
À travers les chemins douloureux d’ici-bas,
Si vous n’êtes pas morts votre jeunesse est morte ;
Et mes regards mortels ne vous reverront pas.
Ainsi notre existence un jour est dépeuplée :
Plus haut notre Idéal sourit et nous attend.
Au fond mystérieux d’une déserte allée,
Mes yeux intérieurs vous découvrent pourtant.
Je vous salue encor, bel essaim d’âmes neuves :
Comme jadis mon cœur ardent vous accueillit,
Car, dans ce cœur, rendu profond par les épreuves,
Rien de chéri jadis ne meurt ou ne vieillit.
Ô vivants, confondus avec ceux que je pleure,
En groupe filial soudain vous vous pressez,
Afin que, réunis, tous ensemble, à cette heure,
Nous allions devisant, tels qu’aux matins passés.
Dans ce jardin rempli de suaves arômes,
Répondez : parmi vous, ô disciples fervents,
Des vivants ou des morts lesquels sont plus fantômes ?
Oui, qui donc est plus mort, des morts ou des vivants ?
Ah ! malgré le tombeau, le temps, l’oubli, l’espace,
Par la mémoire seule, ici je vous revois :
Je reconnais, mêlée à mes pas, votre trace ;
Je vous retrouve tous, divins comme autrefois.
Je fais communier votre ardeur à la mienne :
Je vous passe la coupe où les siècles boiront ;
Je vous chante qu’il faut qu’un âge d’amour vienne ;
J’appelle une auréole autour de votre front.
Tandis que l’air est plein du vol des hirondelles,
Que l’abeille bruit dans la vive clarté,
Je vous conjure d’être austèrement fidèles
À la Vérité sainte, à la chaste Beauté !
Je suis redevenu, plus mûr, votre Chorège.
Si large, l’horizon semble encor s’élargir :
Le ciel entier sourit à mon jeune cortège,
D’où je crois voir des noms prédestinés surgir.
Et, m’égarant au fond des sentiers les plus sombres,
– Par le chant des oiseaux cependant réjouis –
Je sens que m’accompagne, avec vos chères Ombres,
Un murmure émouvant d’étés évanouis.
Louis LE CARDONNEL.
Paru dans La Muse française en 1923.