L’aube exaltée

 

 

La vie est douce ; elle a des roses à la bouche ;

Elle sourit comme une vierge au mois de mai ;

Tout le soleil scintille en son œil enflammé ;

Des fleurs naissent sur les gazons que son pied touche.

 

La vie est belle : un rêve en sa chair est éclos,

Un rêve qui n’est plus un rêve, un vœu sans tache ;

La rosée qui des corolles se détache

Se fait perle ; la source oublie ses sanglots.

 

La vie est pure ; on rit à la vivre d’un rire

Frais comme l’aube où des chœurs d’anges ont flotté ;

Elle est toute prière ; elle est toute bonté ;

Tout le grand ciel de Dieu dans son œil clair se mire.

 

La vie est sainte. Je lui donne mon amour

Comme une gerbe. – Et je vous offre ces ivresses,

Seigneur, à mon réveil, lorsque vers vous se dressent

Mes bras hors de la nuit émergeant vers le jour !

 

 

                                          *

                                       *    *

 

Je m’éveille. C’est toi. Je chante. Dieu fait l’heure.

Tes pas clairs ont franchi le songe où je t’aimais ;

– Ma vie est un clavier sous tes doigts qui l’effleurent,

Ce cœur qui t’a conquise est à toi désormais.

 

Prodige ! Enfant lointaine, immensément présente !

– Ton baiser s’ouvre en moi comme une porte d’or –

Entrouvre d’un éclair mes ténèbres pesantes :

Sois la lueur du glaive au veilleur qui s’endort,

 

Puis, pour voiler le jour, impose à mes paupières

Tes mains, souple bandeau, fendu comme un vitrail.

– Sens-tu battre mes cils aux fentes de lumière ? –

Ton souffle est sur ma nuque ainsi qu’un éventail.

 

Aurore ! tes clairons vibrent de ma victoire,

– Tes cheveux sont chargés d’astres et de printemps –

Mes yeux ont salué tes lys à l’offertoire,

Ces frères ingénus de la fleur que j’attends.

 

Ton sourire a frémi comme un drapeau s’arbore ;

– Dieu fit l’heure et ta chair en deux gestes pareils –

Et ton limpide amour s’est fondu dans l’aurore

Pour qu’en mes yeux fermés persiste le soleil.

 

 

                                          *

                                       *    *

 

Sous l’ombre par la lampe au divan projetée,

Tels deux calices clos ses paupières bleutées

Abritant quelque rêve d’ange en leur écran,

Elle dort, et le souffle à ses lèvres errant

Évoque un vent nocturne agitant le feuillage,

Ou le chuchotement d’une source, ou les pages

Du livre entre mes doigts qui les frôlent. Ses mains

Ouvertes mollement laissent des jours carmins

Filtrer, comme un vitrail où meurt le crépuscule.

Et par elle, attentif à la ville où circulent

Les derniers soubresauts du soir fiévreux et las,

Une paix m’envahit...

                                       Mon Dieu, vous êtes là.

 

 

                                          *

                                       *    *

 

Souvent, le soir, mes mains prennent sa tête chaude

Et mes lèvres longtemps sur sa chair moite rôdent,

Du cou plié jusques aux paupières. Je sens

Le rythme de son souffle à l’afflux de son sang

S’unir et propager en moi sa force. J’aime

Ces heures où la joie est mon seul diadème

Et que l’intime orgueil revêt d’éternité.

 

Ô vie ! ô foi vivante ! abri jamais quitté

Dès l’instant que mon sort élut sa nouvelle âme !

Enfant, enfant, refuge où se blottit la flamme

Pure de tout regret, chaste de tout désir,

Toi seule m’as donné la grâce de saisir

Dieu près de moi et de mêler en plein mystère

L’étincelle céleste aux amours de la terre :

Car ces baisers dans la pénombre à ton chevet

(Ils surnagent peut-être en tes rêves ?), j’avais

Déposé leur ferveur sur ton sommeil, sans croire,

Ma fille, qu’ils vaudraient la plus chère des gloires.

 

 

                                          *

                                       *    *

 

Ses deux bras l’un sur l’autre endormis, blancs oiseaux,

Ses cheveux de leur nuit ombrant son front d’aurore,

Sa bouche qu’un lambeau d’oraison couve encore

Et dont parfois un rire entrouvre le fuseau ;

 

Son haleine par l’aile angélique rythmée,

La courbe de son cou sur l’oreiller, ses cils

Verrouillant de leur frange un domaine d’exil

Que baigne une candeur au sommeil enfermée :

 

Mon enfant ! Tout ce monde au repos m’a permis

D’adorer de plus près la grâce et le vestige

Du Ciel toujours présent sur cette frêle tige,

Parfum né du plus pur d’entre tous les amis.

 

Et je fais sur sa chair, moins des doigts que de larmes

Et d’un cœur dont l’extase accélère les coups,

Votre Signe, ô Seigneur, pour que montent vers Vous

L’espoir, la gratitude aussi, – mes seules armes.

 

 

 

Yves-Gérard LE DANTEC, L’Aube exaltée.

 

 

 

 

 

 

 

 

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