Du travail !
« Dieu qui semblait bénir notre ménage
» M’avait donné six enfants, six amours.
» J’étais heureux dans mon humble héritage,
» Et j’espérais finir gaîment mes jours.
» Mais, l’an dernier, un fatal incendie
» A dévoré ma ferme et mon moulin ;
» Aujourd’hui veuf, ruiné, je mendie :
» J’ai six enfants et je n’ai pas de pain !
» Je suis si pauvre et telle est ma détresse
» Que l’on me fuit comme un épouvantail.
» De fainéant on me traite sans cesse,
» Mais nul ne dit : Tiens, voilà du travail !
» Vous connaissez ma force et mon courage,
» Vous, mon ami, vous jadis mon voisin ;
» Au nom du ciel, donnez-moi de l’ouvrage :
» J’ai six enfants et je n’ai pas de pain !
» Nul ne répond à ma triste prière,
» Pas un bourgeois ne vient me secourir.
» Là-bas, au loin, serpente la rivière...
» Mais non, mais non, je ne veux pas mourir !
» Et cependant à la douleur je cède...
» Oh ! du travail, du travail, car j’ai faim !
» Pères heureux, venez donc à mon aide,
» J’ai six enfants et je n’ai pas de pain ! »
On eut enfin pitié de sa misère ;
Quelqu’un lui dit : « Ne te désole pas ;
» Il est encor de bons cœurs sur la terre ;
» Mon pauvre ami, j’occuperai tes bras. – »
« Quoi ! du travail ? Oh ! merci, bon génie ;
» Sans toi, qui sait, j’allais souiller ma main...
» Mais je renais à l’espoir, à la vie :
» J’ai du travail, mes enfants, j’ai du pain ! »
De ce récit gardez bien souvenance,
Jeunes et vieux qui m’avez écouté,
Aux malheureux prêtez toute assistance,
Suivez les lois de la fraternité ;
Dans le malheur ne voyez pas un crime.
Riche aujourd’hui, que serez-vous demain ?
Suivez du Christ la touchante maxime :
Comme vous-même aimez votre prochain.
1848.
Victor LEFÈVRE.
Recueilli dans Morceaux choisis des poètes belges,
B. Van Hollebeke, Namur, 1874.