Le temple abandonné

 

 

                                       I

 

 

      Je veillais. – Un rayon de flamme,

      Quittant un océan d’azur,

      Soudain pénètre dans mon âme,

      En soulève le voile obscur ;

      La Vierge des heures funèbres

      S’enfuit sur le sein des ténèbres,

      Enfants du deuil et de la mort,

      Une céleste voix m’appelle,

      Et l’esprit de Dieu me révèle

      Les secrets du temps et du sort.

      

      Oui, ma raison croit mieux connaître

      Ce néant qui nous éblouit.

      L’espérance va m’apparaître ;

      Le doute, en moi, s’évanouit.

      D’émotions encore avide,

      Mon âme ouvre une aile rapide

      Pour s’affranchir de ses terreurs.

      La croix sur ma lèvre est pressée,

      Et je rebâtis ma pensée

      Sur les débris de mes erreurs.

      

      Je vais, cherchant la solitude,

      Où l’on ne rencontre que Dieu.

      Mon esprit n’a plus qu’une étude,

      Mon cœur ardent n’a plus qu’un vœu.

      Dans le silence des ruines,

      J’entends des paroles divines

      Tomber de l’antique cité.

      L’une dit : Splendeur et poussière !

      L’autre : – Poésie et prière !

      Je réponds : – Gloire et vérité !

 

 

                                       II

 

 

Effacez-vous, passez, charmes d’un vain prestige !

Vous ne fascinez plus mes yeux ouverts au jour.

Allez, allez, au vent, fleurs sans miel et sans tige,

Dieu seul a mes pensers, Dieu seul a mon amour !

 

Comme un cœur où s’éteint la flamme poétique,

Comme un champ que désole une âpre aridité,

Ce temple, sans pasteur, attend le saint cantique

Dont l’écho semble mort sous son dôme attristé.

 

Plus de voix ! plus d’encens devant le sanctuaire !

L’herbe couvre l’autel où l’agneau s’immola ;

Et ce lieu semble dire au passant solitaire :

« Va, ne t’arrête point, le Seigneur n’est plus là ! »

 

Que dis-je ? il règne encor sur ces murs en ruines ;

J’y retrouve un écho des concerts immortels ;

Tout m’y paraît vivant, car les traces divines

Ne peuvent s’effacer comme des pas mortels !

 

Un sympathique deuil remplit cette demeure :

Comme elle dévasté, mon cœur s’y trouve mieux.

Ô vous qui consolez, ô vous par qui l’on pleure,

Je viens avec ma peine, et vous voyez mes yeux :

 

Leur sécheresse est grande, arrachez-en des larmes ;

Vous fîtes autrefois jaillir l’eau du rocher.

Qu’en élans inspirés se changent mes alarmes,

Dans le sein de son père un fils peut s’épancher.

 

 

                                      III

 

 

      Prenez pitié de ma faiblesse

      Comme de ce temple abattu ;

      Ce que je perds en allégresse

      Peut se compenser en vertu.

      Donnez-moi ces bonheurs intimes,

      Donnez-moi ces flammes sublimes

      Que la religion produit.

      Mon Dieu, je ne puis plus attendre,

      Contre moi venez me défendre,

      Allumez mon flambeau de nuit !

      

      Par moments, j’ai peur que le doute

      Ne vienne encore me saisir,

      Et ne m’entraîne dans la route

      Où le cœur ne sait que choisir.

      Si la foi s’éteignait encore

      Dans mon âme qui vous adore

      Et dont l’œil peut vous entrevoir,

      Replongé dans ma solitude,

      Sur un rocher stérile et rude

      J’aurais semé tout mon espoir !

      

      Quand l’homme a bien connu la terre,

      Quand le clavier des passions,

      Vibrant sous sa main téméraire,

      N’éveille plus d’émotions,

      Blasée, obscurcie et confuse,

      Son âme, que plus rien n’abuse,

      Croit sentir ses ressorts dissous.

      Au delà de tout dans ce monde,

      Il reste à cette âme profonde

      Tout encor, Seigneur, et c’est vous !

 

 

                                      IV

 

 

Aussi j’aime à prier au milieu des décombres,

      À genoux sous les vieux arceaux.

Chaque pierre, en tombant du haut des voûtes sombres,

      Frappe le marbre des tombeaux,

      Et réveille en sursaut les ombres

      Des hôtes de ces noirs caveaux.

 

Plus de recueillement remplit l’âme craintive

      Près de ces sépulcres jaloux,

Et nous entendons mieux sous la tremblante ogive

      Qu’assiègent les vents en courroux,

      La voix forte, sonore, active,

      La grande voix qui parle en nous !

 

 

 

Alphonse LE FLAGUAIS.

 

Paru dans Anémone, annales romantiques

en 1837.

 

 

 

 

 

 

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