La poésie chrétienne

 

ODE

 

 

Tel que l’astre brûlant dont la clarté féconde,

Du centre où le plaça le Créateur du monde,

Efface en renaissant tous les célestes corps,

Tel ce roi, dont Dieu même échauffait le génie,

              De toute autre harmonie

Par ses divins accents étouffe les accords.

 

Et vous, dont les concerts, autrefois si célèbres,

N’ont que trop retenti dans ces jours de ténèbres,

Où la vérité sainte habitait loin de nous,

Rougissez, s’il se peut, du fruit de vos délires ;

              Brisez vos faibles lyres :

David a pris la sienne ; il chante, taisez-vous.

 

Ornements de l’erreur, fictions criminelles,

Qui ternissez l’éclat des beautés immortelles,

Fuyez : n’infectez plus le terrestre séjour ;

Qu’aux rayons des clartés dont les mortels jouissent,

              Vos traits s’évanouissent,

Comme l’ombre légère aux approches du jour.

 

Ils étaient enfantés ces hymnes mémorables,

De l’esprit éternel ouvrages adorables,

Où Dieu parle aux humains le langage du ciel :

Le guide des Hébreux, le saint roi, les prophètes,

              Célestes interprètes,

Avaient chanté sa gloire aux enfants d’Israël.

 

Comment ces chants divins, ces concerts des lévites,

N’ont-ils pu, de Sion franchissant les limites,

Annoncer leur auteur à cent peuples divers ?

Et pourquoi n’ont-ils pas, pour servir sa puissance,

              Du jour de leur naissance

Volé de bouche en bouche et rempli l’univers !

 

C’est toi que j’en accuse, antique poésie ;

Toi, le plus beau des arts, qui d’abord fut choisie

Pour graver dans les cœurs d’utiles vérités,

Et qui, perdant bientôt ces heureux privilèges,

              Dans des champs sacrilèges

Rendis hommage aux dieux par toi-même inventés.

 

Sainte au bord du Jourdain, partout ailleurs impure,

Organe séduisant de l’adroite imposture,

Tu souillais le dépôt du culte et de la loi :

Du ciel où tu naquis, aux enfers descendue,

              Ta beauté s’est vendue

Aux vils profanateurs de ton auguste emploi.

 

Et que sont-ils enfin, ces fruits de ton génie,

Qu’admiraient follement la Grèce et l’Ausonie ?

Ces chefs-d’œuvre vantés et ces superbes sons,

Que sont-ils au regard du fidèle et du sage ?

              Qu’un bizarre assemblage

De spectacles honteux et d’infâmes leçons.

 

Tu plaçais dans l’Olympe, au gré de tes caprices,

De cruels conquérants, des rois chargés de vices,

Des dieux imitateurs des forfaits des humains,

Trop dignes de périr sous ce même tonnerre

              Que l’erreur de la terre

Déposait en tremblant dans leurs fragiles mains.

 

Ta voix, pour embellir les fables de la Grèce,

À des mortels remplis de ta frivole ivresse

Dicta des sons hardis, brillants, voluptueux ;

Mais leurs soins redoublés et leurs travaux stériles

              De les dogmes futiles

Ne couvraient qu’à demi le tissu monstrueux.

 

Ainsi, pour imiter les fleurs de la jeunesse,

Les prestiges d’un art qui nourrit la mollesse

En vain d’un fruit terni réparent les attraits ;

Ce coloris trompeur n’efface point les rides

              Où de leurs mains livides

La vieillesse et le temps ont imprimé les traits.

 

Loin donc ces vains tableaux où, sous de faux emblèmes,

De l’Être souverain voilant les droits suprêmes,

Un pinceau mensonger me cache sa grandeur !

Le livre auguste s’ouvre, et j’y rois les modèles

              Où des crayons fidèles

Ont peint de l’Éternel l’image et la splendeur.

 

Je le vois préparer le berceau des deux mondes,

De son souffle puissant mouvoir les eaux profondes,

              Établir du soleil le trône radieux,

Peupler l’air et la terre, et de sa ressemblance

              Honorer la substance,

Qu’il créa pour régner avec lui dans les cieux.

 

Que l’Horrible trépas d’Ajax réduit en poudre,

Ou du fier Salmonée accablé par la foudre,

Venge les dieux menteurs qu’ils osaient insulter :

Les ministres d’Achab écrasés du tonnerre

              Diront mieux à la terre

Quel est le Dieu qui règne, et qu’il faut redouter.

 

Je peindrai, non des flots irrités par Éole,

Mais d’un Dieu foudroyant l’éclatante parole,

Qui déchaîne à la fois les mers et les torrents ;

Qui livre au feu vengeur des nations infâmes,

              Et sous l’onde et les flammes

D’Israël fugitif engloutit les tyrans.

 

D’orgueilleux souverains, à leurs désirs en proie,

Par les fureurs des Grecs, ni les malheurs de Troie,

De leurs égarements ne seront point guéris ;

Mais j’épouvanterai leurs amours adultères

              Par les fléaux sévères

Dont Dieu frappa les rois qu’il a le plus chéris.

 

À ceux qui de leur peuple épuisent la substance,

Qui d’un sceptre de fer ont armé leur puissance,

Du jeune Roboam retraçons les conseils :

À ces monarques durs qui gouvernent des traîtres,

              À ces injustes maîtres,

Offrons, pour les toucher, le sort de leurs pareils.

 

Beaux jours de Salomon, jours de calme et de gloire,

Jours où la paix goûtait les fruits de la victoire,

Où Sion ne formait que de pieux concerts ;

Cèdres qui du Liban remplissiez les asiles,

              Solitudes tranquilles,

Objets délicieux, renaissez dans nos vers !

 

Renaissez dans nos vers, spectacle qui m’enchante,

Rivage du Jourdain, nation florissante,

Cités qu’enrichissaient des habitants nombreux,

Champs fertiles, vaisseaux dominateurs de l’onde,

              Temple, ornement du monde,

Roi, modèle des rois, peuple qu’il rend heureux !

 

Qui me retracera, dans ces chants énergiques,

Ces miracles vainqueurs de tant d’efforts magiques,

Le Rédempteur de l’homme expirant sur la croix,

Les anges de la mort privés de leurs victimes,

              Et le roi des abîmes

Chassé de l’univers qu’il tenait sous ses lois ?

 

Qui me rappellera ces siècles d’innocence,

Ces temps qui de l’Église ont suivi la naissance,

Marqués par les vertus et le sang des chrétiens ;

Temps où la charité, triomphant des usages,

              Rapprochait tous les âges,

Égalait tous les rangs, confondait tous les biens ?

 

De l’hospitalité jamais les droits antiques

Ont-ils lié les cœurs de nœuds plus sympathiques ?

Du chrétien, tout fidèle est le frère et l’ami :

Du Nil jusqu’à la Seine, et du Gange au Bosphore,

              Sous le Dieu qu’il adore,

Du refus d’un chrétien nul d’entre eux n’a gémi.

 

Ces jours son éclipsés : que de vives peintures

En retracent l’éclat aux nations futures ;

Rappelons des tyrans les cris et les fureurs,

Les vrais enfants du Christ, si constants dans leur voie,

              Leur concorde et leur joie,

De la paix éternelle heureux avant-coureurs.

 

Puisse ainsi de notre art le charme salutaire,

Sans l’appui du mensonge instruire autant que plaire,

        Allier l’agrément à la sévérité !

Et puisse-t-il enfin ne consacrer ses rimes

              Qu’aux triomphes sublimes

De la foi, de la grâce et de la vérité !

 

Et vous, nés pour la paix, mais trop prompts pour la guerre,

Dans des rangs inégaux, citoyens de la terre,

Issus du même sang, sujets aux mêmes lois,

C’est pour vous que le ciel rend ma voix plus touchante ;

              C’est pour vous que je chante,

Rois, image de Dieu ; peuples, enfants des rois.

 

 

 

Jean-Jacques LEFRANC DE POMPIGNAN.

 

Recueilli dans Choix de poésies

ou Recueil de morceaux propres à orner la mémoire

et à former le cœur, 1826.

 

 

 

 

 

 

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