Adieux d’un chef à ses soldats

 

 

Amis, je suis ému de votre fier langage,

C’est celui de soldats jaloux de l’héritage

                Que leur léguèrent nos aïeux ;

C’est celui de soldats nés pour les grandes choses,

Qui rêvent, dans le rang, aux combats grandioses

                Dans les lointains mystérieux !

 

Oui, oui, je vous aimais, et je vous aime encore !

Vous étiez mes enfants, et mon vieux cœur s’honore

                De votre noble attachement !

Vous compreniez si bien mon geste et ma pensée,

Quand j’allais en manœuvre, au tir, à l’avancée,

                À la tête du régiment !

 

Dans une armée où bat maint cœur comme les vôtres,

Doit surgir un guerrier, que la foi des apôtres

                Brûlera d’une sainte ardeur,

Pour reprendre là-bas le morceau de frontière,

Ressaisir le passé, rendre à la France entière

                Son nom, sa gloire et sa splendeur !

 

C’est vrai ! pendant sept ans qu’au cent quarante-quatre

J’eus l’honneur de dresser mes troupiers à combattre,

                Animé d’un secret espoir,

Je rêvais, plein d’orgueil, de conduire moi-même

Mes trois chers bataillons à la lutte suprême,

                Sur le calvaire du devoir.

 

Mon âme de soldat, mon âme de poète

Était comme la vôtre aujourd’hui, toujours prête

                À voir en face l’étranger :

Mais je m’étais instruit aux leçons de la guerre

Et je savais, amis, ce qui manqua naguère,

                Pour voir reculer l’étranger !

 

Gardez le feu sacré ! Gardez la sainte flamme

Que votre enthousiasme allume dans votre âme !

                Aimez la France ! tout est là !

Comme je vous disais : « Discipline et silence ! »

Marchez bien ! tirez juste ! et c’est là la science

                Que l’ennemi me révéla !

 

Allez ! ne cherchons pas minuit à quatorze heures !

Le Destin peut trahir les troupes les meilleures ;

                Mais c’est dans les torrents de sang

Qu’on cueille la victoire ! Ainsi faisaient nos pères ;

Et vous prendrez comme eux pour vos points de repères

                Les clochers du Rhin frémissant !

 

Le sac bien ajusté, le pain dans la musette,

Œil franc et front levé, cartouchière complète,

                Les pieds endurcis aux cailloux,

Coude à coude à travers monts, ruisseaux, bois et plaines,

Vers le soleil levant des revanches prochaines

                Marchez au pas, petits pioupious !

 

Et vous vous grandirez, quand sifflera la balle,

Jeunes héros... Amis, je crois que je m’emballe,

                Pardonnez au vieux colonel !

Il est si doux de croire aux gloires de la France !

Laissez-moi partager votre jeune espérance,

                Oublier mon deuil paternel !

 

Car la retraite est bien la mort anticipée !

Mais aujourd’hui, par vous l’ombre en est dissipée ;

                Et je revis comme à vingt ans !

Vos strophes m’ont ôté le surplus des années,

Et mes illusions que je croyais fanées

                Connaissent un nouveau printemps !

 

Merci ! votre amitié m’est précieuse et chère ;

C’est celle du soldat, du poète sincère

                Dont le luth est grave et touchant !

Aux accents de la lyre et du clairon sonore,

Merci ! d’avoir mêlé les rayons de l’aurore

                Aux feux de mon soleil couchant !

 

 

 

Amaury LE KLER.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

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