Ironie et prière

 

 

Il est nuit ; il fait froid. Sur l’angle des toitures

            Le vent siffle de plus en plus,

Et, sous l’acier poli des rapides voitures,

            La neige rend des sons aigus.

Le poêle plein de feu raisonne comme un cuivre,

            La lune, de ses réseaux d’or,

Fait scintiller au loin le grand linceul de givre.

            La ville ne dort pas encor.

 

Hâtez-vous, jeunes gens, car l’heure qui s’envole

            Ne passera plus devant vous.

Allez danser au bal, si le bal vous console

            Mieux qu’une prière à genoux.

Allez à vos festins, à vos pompeuses fêtes,

            Vous dont la paupière est sans pleurs,

Pour semer sur vos pas, pour couronner vos têtes,

            L’automne a réservé des fleurs.

 

Allez ! N’arrêtez point au seuil de la chaumière

            Où gémit un frère indigent.

Entrez dans les salons où des flots de lumière

            Ruissellent des lustres d’argent.

Écoutez les propos, les refrains d’allégresse,

            Les orchestres mélodieux,

C’est plus doux que les cris d’une sombre détresse,

            C’est moins triste ou moins odieux.

 

Et qu’importe après tout qu’un misérable envie

            Et vos plaisirs et vos honneurs ?

Qu’importe un malheureux dont la pénible vie

            N’a ni doux rêves, ni bonheurs ?

Détournez vos regards et gardez votre joie ;

            Trouvez quelques plaisirs nouveaux.

Chantez, riez, dansez, en beaux habits de soie,

            Sur le couvercle des tombeaux.

 

Vous n’avez jamais vu, tout près de votre porte,

            La pâle faim venir s’asseoir ;

Et les ris et les jeux que l’aube vous apporte

            Ne s’en vont point avec le soir.

Jamais, pendant l’hiver, dans l’âtre plein de cendre

            Le feu n’a cessé d’ondoyer ;

Jamais pour votre lit Dieu ne vous a fait prendre

            La pierre de votre foyer.

 

Riches, connaissez-vous le taudis de la ville

            Où se cache la pauvreté ?

Avez-vous, en entrant, vu fuir la jeune fille

            Honteuse de sa nudité ?

Avez-vous vu l’enfant à la bouche livide

            Qui ne mange point au réveil ?

Oh ! vous ne savez pas combien il est avide

            Du pain qu’il voit dans son sommeil !

 

Donnez donc à l’enfant l’obole qu’il réclame,

            Pour qu’il ne meure pas de faim.

Donnez un peu de bois à tout foyer sans flamme,

            À l’orpheline, un peu de pain.

Relevez sans aigreur une femme qui tombe

            Et le bon Dieu vous bénira ;

Et puis, si les heureux évitent votre tombe,

            Le pauvre la visitera.

 

 

 

Pamphile LEMAY.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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