Nuit de Noël
La cloche des beffrois sonne à toute volée...
Sur le flanc des coteaux, au fond de la vallée,
Brûle joyeusement, dans l’âtre des aïeux,
La bûche de sapin. Les maisons s’illuminent.
Courbés sur leur bâton, les vieillards s’acheminent,
Évoquant tour à tour des souvenirs pieux.
On entend tout à coup de glorieux cantiques...
La terre parle au ciel. Et sous les hauts portiques
Des temples merveilleux élevés par la foi,
Et sous le frêle arceau de la pauvre chapelle,
La foule émue accourt. Quel spectacle t’appelle,
Étrange multitude, et d’où vient ton émoi ?
C’est la nuit de Noël !... Nuit calme et parfumée,
Qui berce mollement la lande accoutumée
Au murmure des eaux, au vol des papillons...
C’est la nuit de Noël !... Nuit glacée, éclatante,
Qui s’ouvre sur nos champs comme une immense tente,
Ou les ensevelit dans ses blancs tourbillons.
La foule accourt... Des lieux où le soleil se lève,
Et des lieux où le vent transperce comme un glaive ;
Du midi plein d’arome et du couchant obscur,
La foule accourt, joyeuse en ses habits de fête,
Sous les feux de l’étoile ou malgré la tempête,
Par les chemins de neige ou les clos de blé mûr.
Elle vient saluer le plus grand des mystères.
Dans leurs chants inspirés, les prophètes austères
L’avaient promis. Et siècle après siècle s’en va,
Et, prosterné devant l’humble Vierge Marie,
Tout le monde chrétien adore, chante et prie,
Dans l’amour et la foi, le Fils de Jéhova.
Mais le monde sait-il la nouvelle doctrine ?...
Hommes, priez, jeûnez, frappez-vous la poitrine;
Élevez à Dieu l’âme et domptez l’animal ;
À qui n’a pas de biens donnez un peu des vôtres ;
Soyez humbles et purs; ne doutez point des autres.
Aimez-vous. Pardonnez si l’on vous fait du mal !
Ô chrétiens, croyez-vous à ce Dieu fait poussière ?
À l’éternel Esprit sous cette chair grossière ?
À l’infini pouvoir dans ces débiles mains ?
Croyez-vous à l’amour sans fin et sans mesure ?
Au cœur inassouvi qui rend avec usure ?...
Ô chrétiens, croyez-vous au rachat des humains ?
La cloche des beffrois sonne à toute volée...
Sur le flanc des coteaux, au fond de la vallée,
Brûle joyeusement, dans l’âtre des aïeux,
La bûche de sapin. Les maisons s’illuminent,
Courbés sur leur bâton, les vieillards s’acheminent,
Évoquant tour à tour des souvenirs pieux.
Mais déjà tout bruit meurt sous les voûtes du temple,
L’adorateur s’en va. Le ciel ému contemple
Le flot impétueux des inconstants mortels.
Les cierges sont éteints. Par les fenêtres sombres
On voit quelques rayons se perdre dans les ombres...
C’est la lampe qui veille au milieu des autels.
Les croyants sont partis par des routes diverses,
Et des suggestions habilement perverses,
Comme des traits brûlants traversent les esprits,
Car tout homme est menteur !... La soif des biens s’allume;
Et le cœur, mal gardé, sonne comme une enclume
Aux baisers de l’amour qui l’a déjà surpris.
Et le rêve divin comme un oiseau s’envole !...
Le pauvre porte envie au riche qui le vole ;
L’orgueilleux parvenu méprise l’indigent ;
La bouche qui priait injurie et diffame ;
Le libertin ourdit la chute de la femme,
Et l’avare, à genoux, adore son argent !
Comme un oiseau qui fuit le saint rêve s’efface...
Vers le sol de nouveau l’homme a penché sa face ;
La prière est muette et le cantique dort.
Seuls des cris étouffés du milieu de la foule
Montent encore : les cris des malheureux que foule,
Sous son talon brutal, le lutteur le plus fort !
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Ah ! trop tôt le bruit meurt sous les voûtes du temple !
L’adorateur s’en va. Le ciel ému contemple
Le flot impétueux des inconstants mortels.
Les cierges sont éteints. Par les fenêtres sombres
On voit quelques rayons se perdre dans les ombres...
C’est la lampe qui veille au milieu des autels.
Pamphile LEMAY.