Pax
Deus est Charitas.
« La paix soit avec vous. » Éclair dans la nuit sombre,
Ce mot va-t-il sauver l’humanité qui sombre ?
Dix-neuf siècles déjà se sont accumulés
Depuis qu’on t’aime, ô Christ ! depuis qu’on te blasphème..
On répond par la haine aux vœux qu’un Dieu lui-même,
Dans son amour pour nous, pour nous a formulés.
Le siècle est-il plus fort que toi, Dieu du calvaire ?
Son rire étouffe-t-il ta doctrine sévère ?
Vois-tu donc défaillir tes disciples aimés ?
« La paix soit avec vous », dis-tu. La paix, qu’est-elle ?
Chacun la veut, la cherche. En notre âme immortelle
Les désirs de la paix par ta main sont semés.
Mais quand donc verrons-nous la gloire de ton règne ?
Veux-tu que l’on espère, ou veux-tu que l’on craigne ?
Le monde enténébré crut que tu le trompais,
Que tu dormais toujours sous la pierre des tombes,
Et de tes défenseurs il fit des hécatombes.
La mort dans les tourments, était-ce donc la paix ?
Du levant et du nord, sous d’étranges armures
Arrivent des guerriers. Comme des moissons mûres
Les peuples sont fauchés partout et sans merci.
Des noms suintant le sang déflorent nos annales ;
La luxure s’acharne aux couches virginales...
Ô doux Galiléen, la paix est-elle ici ?
Non loin du toit moussu de l’humble prolétaire,
S’élèvent des palais. Non loin du coin de terre
Que les déshérités arrosent de sueurs,
Fleurissent des heureux les jardins fantastiques.
La paix habite-t-elle, ô Christ ! les fiers portiques,
Ou le chaume éclairé par d’avares lueurs ?
Puis, le savant a dit : La paix, c’est la science ;
C’est le fruit du labeur et de la patience ;
C’est l’œil ardent qui plonge au fond du gouffre noir,
Pour y voir se jouer un rayon de lumière ;
C’est l’esprit qui surprend une cause première,
Au problème incompris où se brisait l’espoir.
La paix, c’est le regard de la femme qu’on aime,
Le tapis de gazon que la rose parsème,
Le sein où les désirs montent tumultueux ;
C’est toute la beauté que nul voile n’opprime ;
C’est l’être qui se fond dans un baiser sublime,
Car la paix, c’est l’amour, dit le voluptueux.
La paix, c’est le mépris des biens et des tendresses ;
C’est le calice amer des pieuses ivresses ;
C’est le feu qu’on éteint dans une âme qui bout,
Le repos de l’esprit dans les régions saintes,
Et l’emprisonnement, dans les froides enceintes,
De ce corps de péché que l’on traîne partout !
La paix, c’est l’existence au milieu des prairies,
Parmi les gais oiseaux, sous les branches fleuries,
Ou dans les blés dorés, au bord du ruisseau bleu ;
La paix, c’est la famille où le ciel fait descendre
Des anges espérés ; c’est l’âtre dont la cendre
Couvre, pour les jours froids, un doux rayon de feu.
La paix, dit le soldat, c’est, après la victoire,
La croix sur la poitrine et le nom dans l’histoire ;
C’est de reculer loin les bornes d’un État,
De pousser une armée, ainsi qu’une avalanche,
Sur des peuples surpris. C’est aussi la revanche,
Dit le vaincu d’un jour au cruel potentat.
La paix, c’est la louange avec son ambroisie ;
C’est l’éloquence ardente, ou c’est la poésie
Qui déroulent leurs flots comme un océan d’or ;
C’est le soupir du luth ou l’hosanna du cuivre ;
Le vol des sons divins que l’âme voudrait suivre
Jusques aux pieds de Dieu, dans un dernier essor.
« La paix soit avec vous ! » Ô Christ né de la Vierge !
Ce vœu n’a pas sauvé le monde que submerge,
Sous tes regards mourants, un flot d’iniquités !
L’homme n’a pas compris ta suave parole.
As-tu donc caché trop la divine auréole
Qui couronnait ton front quand tu nous as quittés ?
Les siècles sont à toi, l’humanité commence,
Vais-je comme un impie, en un jour de démence,
Demander les secrets que garde ta bonté ?
La paix viendra. Ceux-là la trouveront sans doute,
Dont le cœur fort et pur est comme une redoute,
Et dont l’esprit est plein de bonne volonté.
Car la paix, ce n’est point le repos dans la gloire,
La coupe des plaisirs où l’on veut toujours boire,
L’ivresse de la force ou de l’austérité;
Cc n’est ni l’oraison dans l’église bénie,
Ni les secrets de Dieu surpris par le génie,
Ni ces biens à la fois, mais c’est la charité.
Pamphile LEMAY.