Le don
Je vous ai donné l’enfant que j’aimais,
L’enfant qu’autrefois, de ma voix câline,
Bouton rose éclos dans le matin frais,
J’ai longtemps bercé contre ma poitrine.
Je vous ai donné cet adolescent
Qui rêvait le soir, un doigt sur la tempe,
À tout l’inconnu que le cœur pressent
Sous le cercle d’or tracé par la lampe.
Je vous ai donné ce jeune homme ardent
Qui risqua sans peur son âme éblouie
Au jeu merveilleux du fol imprudent
Qui pipe au hasard les dés de la vie.
Je vous ai donné celui qui partit,
Un baiser de vous pour tout viatique,
Combattre la force au nom de l’esprit
Dans la sombre guerre au destin tragique.
Je vous ai donné mon plus cher trésor,
L’enfant de mon sang, l’élan de mon âme,
Afin que plus tard, il ressente encor
Ma tendresse éteinte en vos bras de femme.
Car c’est pour cela, pour cela surtout,
Que, joyeusement, je vous l’abandonne,
Voulant qu’à ma mort il retrouve en vous
Mon profond amour en son grave automne.
Si vous êtes là pour le consoler
Mon cœur n’aura pas besoin de prière,
Mais il vous faudra doublement l’aimer
Pour qu’en paix je dorme en la morne terre,
L’aimer pour moi-même en l’aimant pour vous....
Ainsi le passé restera vivace,
Et, dans l’invisible où tout se résout,
Je vous bénirai du fond de ma race.
Jeanne LENGLIN.
Recueilli dans Anthologie de la Société des poètes français, t. I, 1947.