Berceuse cosaque
Dors, mon enfant, dors, mon joli,
Do-do, do-do.
Doucement la lune se penche
Sur ton berceau.
Je vais te dire des légendes,
Chanter pour toi ;
Mais dors, ferme tes petits yeux,
Do-do, do-do.
Sur les cailloux le Terek roule,
Sombre, et clapote,
Sur ses bords le Tchétchène aiguise,
Sournois, sa lame :
Mais ton père, le vieux guerrier,
Est endurci ;
Dors, mon petit, dors, n’aie point peur,
Do-do, do-do.
Tu apprendras (tu as le temps)
À guerroyer.
Hardi, tu chausseras l’étrier,
Tu t’armeras...
J’ornerai ta selle de guerre
De soie brodée...
Dors, mon enfant, dors, mon chéri,
Do-do, do-do.
Héros d’aspect, sois dans ton âme
Un vrai Cosaque !
Je sortirai... Tu me feras
De loin adieu.
Ah ! que de pleurs amers, secrets,
Cette nuit-là !
Dors, mon ange, sans bruit, tout doux...
Do-do, do-do.
Je vais t’attendre et me languir,
Inconsolable,
Priant le jour et supputant
Toute la nuit !
Pensant que tu t’ennuies, là-bas,
Loin du pays.
Avant que le souci ne vienne,
Do-do, do-do.
Je te donnerai pour la route
Ma sainte icône :
Place-la toujours devant toi
Pour prier Dieu ;
Puis avant le combat cruel,
Pense à ta mère...
Dors, mon enfant, dors, mon joli,
Do-do, do-do.
Mikhaïl Yourievitch LERMONTOV,
1840.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe,
choix, traduction et commentaires de Jacques David,
Stock, 1947.