Elle a échangé les champs fleuris
Elle a échangé les champs fleuris
De l’Ukraine
Contre le monde et ses chaînes,
Contre l’éclat du bal enchanteur.
Mais elle a conservé les traces
De son midi paternel
Au milieu du monde
Implacable et glacé.
Les mots de sa bouche parfumée
Sont pleins d’étrangeté,
Comme les nuits d’Ukraine
Dont l’étoile scintillante jamais ne décline.
Comme le ciel de ce pays-là,
Ses yeux sont transparents et bleus.
Comme le vent du désert
Brûle sa caresse enveloppante.
Le teint rose de ses joues duveteuses
Est celui de la prune qui mûrit
Et dans ses boucles dorées.
Jouent les chatoiements du soleil.
Et, suivant sévèrement
L’exemple de sa triste patrie,
Elle a gardé pour Dieu
Sa foi et son espoir d’enfant.
Elle est pareille à sa tribu natale
Qui ne guette point l’appui de l’étranger,
Mais qui sait supporter avec un calme hautain
La raillerie et l’épreuve.
L’incendie de ses passions,
Les regards insolents ne l’allumeront pas.
Elle n’aura point l’amour facile,
Mais ce n’est pas à la légère qu’elle cessera d’aimer.
Michel LERMONTOV.
Recueilli dans Anthologie de la poésie russe
du XVIIIe siècle à nos jours, par Jacques Robert
et Emmanuel Rais, Bordas, 1947.