Pensers d’hiver
L’hiver vient aux champs ; sur nos têtes
L’on ne voit plus, sous les tempêtes,
Aux taillis que merles moqueurs,
Bruns roitelets, tristes mésanges,
Moineaux gourmands au seuil des granges
Et noirs regrets dans tous les cœurs.
Amours, plaisirs, comme hirondelles,
Se sont enfuis à tire-d’ailes ;
Et maintenant, au fond de nous,
C’est le froid, le givre et la neige,
La mort hideuse, en son cortège
D’amers soucis et de dégoûts.
Des nids l’orage abat les pailles ;
Au souffle enragé des batailles
S’en vont les loques des drapeaux.
Ainsi tombent nos cœurs ; la bise
Des ans les enlève, les brise,
Les crache au passé par lambeaux !...
Non ! – Les toits de chaume et de mousse,
Où l’été mêle à l’herbe rousse
Avoine folle et boutons d’or,
S’écrouleraient pierre par pierre,
Mais aux trous des murs croît le lierre
Dont le bras noir les tient encor.
Quand de nos cœurs, rêve par rêve,
Tout s’envole au vent qui s’élève,
Quand à la mort qui va venir
Nos âmes tremblent, inquiètes,
Dieu rassemble et soutient leurs miettes
Par le lierre du souvenir.
Jean LE SAGE.
Paru dans L’Année des poètes en 1893.