L’église neuve
(Couronnée par l’Académie des jeux floraux)
Alors tu parleras, voix de la vieille église !
V. DE LAPRADE.
J’arrivais plein de foi, d’amour, de poésie !
Je sentais sous mes pas frémir le sol natal ;
Devant moi je laissais courir ma fantaisie,
De buissons en buissons, dans les détours du val.
J’allais donc vous revoir, ô solitude aimée !
Sentiers moussus des bois, arbres de mon verger,
Seuil à jamais béni, maison longtemps fermée,
Mais qui n’a pas du moins abrité l’étranger !
J’allais donc vous revoir, m’enivrer à toute heure
Des arômes épars dans les chemins ombreux,
Boire les fraîches eaux de la source qui pleure,
Et retrouver partout mes souvenirs heureux !
Le moulin est là-bas, et j’entends les cascades....
Une blanche fumée a rayé l’horizon....
Doux village, est-ce toi que les vertes arcades
Me dérobent encore ?... ô ma vieille maison !
Et ma petite église auprès du cimetière,
Et les tombeaux jadis chaque jour visités,
Et le clocher croulant que couronne le lierre !...
Je vais donc vous revoir, vous que j’avais quittés !
Hâtons le pas... qui vient ? pâtre, je sais la route :
Je n’ai rien oublié, car je suis né chez vous ;
Mais suis-moi, parle-moi ; je tremble et je t’écoute :
Reverrai-je tous ceux dont le nom m’était doux ?
Jacques, le vieux fermier existe-il encore ?
Dis-moi, se souvient-on de ceux qui sont partis ?
J’accourais tout joyeux, le doute me dévore ;
Et je sens mon front pâle et mes pieds ralentis.
N’aura-t-on rien changé dans l’église que j’aime,
Où, dans le chœur, enfant, j’ai chanté tant de fois !
Le son de l’Angelus est-il toujours le même ?
Sur les tombeaux anciens a-t-on laissé les croix ?
« La femme du fermier depuis longtemps est veuve,
« Me répondit l’enfant ; je ne vous connais pas...
« Mais venez, vous verrez : l’église est toute neuve
« Et notre cimetière est sous les pins, là-bas. »
Tout pensif, j’arrivai sur la place déserte.
Je passais inconnu : Je me pris à pleurer.
Je vis l’église neuve,... et la porte entr’ouverte...
Seigneur, pardonnez-moi, sans y vouloir entrer !
Elle étalait son porche aux pierres ciselées,
Ses vitraux rajeunis, et dressait fièrement
Au sommet du coteau, par-dessus les vallées,
Sa tour faite d’hier dans le style roman.
Eh ! que me font à moi la blancheur de tes dalles,
Tes voûtes, ton fronton artistement fouillé ?
Ah ! j’espérais baiser avec mes lèvres pâles
Le sol du temple auguste où j’avais tant prié !
Je rapportais de loin mes chimères éteintes,
Et comme un ex-voto je voulais les placer
Au pied de ces autels et sur ces parois saintes,
Vestiges vénérés que l’on vient d’effacer !
Je revois tout pourtant... le clocher solitaire,
Et son toit surplombé que domine la croix,
Et l’église, et la tombe, où, dans un coin de terre,
Père, aïeul regretté, je vous mis autrefois !
Mais rien n’est plus resté de ce qui fut ma vie !
À ma sombre maison irai-je encor chercher
Quelque trace peut-être au froid néant ravie,
Ce que n’ont eu pour moi l’église et le clocher ?
Ainsi j’allais partir, quand une voix céleste
Descendit de la tour sur mon front incliné ;
Et je la reconnus. Elle me disait : « Reste !
« Mon chant, triste aujourd’hui, te fêta nouveau-né.
« Je suis la vieille cloche, et pourtant je demeure !
« Ici, tu le sais bien, j’ai tant sonné Noël !
« Par pitié l’on me garde à présent, car je pleure
« Comme si le passé pouvait être éternel !
« Reste ! nous parlerons des amitiés anciennes,
« Et ma voix sera douce à ton cœur attristé !
« La brise mêlera tes plaintes et les miennes !
« Frère, fais comme moi : reste ! » – Je suis resté !
Auguste LESTOURGIE.
Paru dans La Tribune lyrique populaire en 1861.