Sans nom
C’est à la Morgue ! Par la glace,
On voit sur les marbres, rangés,
Des cadavres déjà rongés
Dont l’immobilité vous glace.
Les gens passent, tout effarés,
Cherchant, pour cette chair qui tombe,
Les noms à mettre sur la tombe,
Pour qu’ils ne soient pas égarés.
Mais la plupart sont mis en terre,
Sinistres parias du sort,
Sans titre, sans nom, – et la Mort
Croise les bras sur un mystère.
Dans la Morgue du désespoir,
Combien de cœurs perdus reposent
Qui lentement se décomposent,
Et bientôt dans l’oubli vont choir !
Parfois, l’œil allumé, superbe,
Don Juan vient là, tout un jour,
Chercher les cœurs que son amour,
Comme des morts, coucha dans l’herbe.
Hélas ! les cœurs dans l’abandon,
On ne les peut plus reconnaître :
Ils sont trop déchirés, peut-être,
Et c’est Dieu seul qui sait leur nom.
Gaston de LEVAL.
Paru dans L’Année des poètes en 1893.